La rencontre de François d'Assise avec le Sultan d'Égypte Malik al-Khamîl à Damiette en 1219 apporte un éclairage de grande actualité pour nos relations d'aujourd'hui avec les musulmans. Le 800 e anniversaire de cet évènement historique porte des fruits et nous interpelle profondément. Si vous êtes passionné d'histoire et fasciné par l'expérience de François d'Assise, cet ouvrage vous nourrira longtemps.
Gwenolé Jeusset, Saint François et le Sultan, Édition Albin Michel, collection Spiritualités vivantes, Paris 2006, 295 pages.
Le thème de la rencontre avec les musulmans est d'actualité, il ne cesse de s'imposer et fait appel à notre ouverture au dialogue.
Gwenolé Jeusset publie une édition nouvelle et enrichie de son ouvrage Saint-François et le Sultan. Nous avons ici une recherche historique poussée sur l'affrontement des chrétiens et des musulmans pour la réappropriation des Lieux Saints, à travers le mouvement des Croisades. Durant la 5e croisade en 1219, François d'Assise a réussi, après deux échecs, à se rendre à Damiette , à l'entrée du Delta du Nil en Égypte, et à franchir les lignes ennemies, demandant à rencontrer le Sultan d'Égypte Malik al-Khâmil.
L'auteur s'attache à « reconstituer le contexte historique et à discerner l'esprit dans lequel François mène son entreprise.» (p.10) « ...François nous trace un chemin: sortir de soi, traverser le gouffre de la différence et l'arène de nos combats... non pour conquérir ou asservir, mais pour connaître et comprendre, simplement, humblement, fraternellement. » (p.10)
La description est détaillée, s'en tient aux faits comme nous les rapportent plusieurs chroniques, cela se lit comme un roman policier qui nous garde en haleine et nous dévoile toute la complexité des relations politiques des puissances en conflit. La cupidité et la cruauté ne sont pas toutes du même côté.
François est l'homme engagé dans un mouvement de retour à l'Évangile vécu en obéissance au Seigneur Pape, par choix; il est aussi à l'intérieur d'une église puissante et guerrière dont le pape Innocent III a mobilisé les chefs des nations et leurs armées à s'engager militairement dans la reconquête de la Palestine. François est en tension entre ces deux objectifs qui se contredisent mais qu'il arrive à maintenir.
Les affrontements militaires, il en a rêvé dans sa jeunesse et il en a expérimenté la vacuité.
Il vient à Damiette pour tenter de convertir le Sultan. Ces deux hommes se reconnaissent et se respectent dans leur profonde quête spirituelle vers l'unique Dieu. Ils appartiennent chacun à une tradition différente de croyants et de priants et en possèdent les vertus.
François aura établi un pont pour amener un début de dialogue, pour pousser la relation entre ces peuples à un autre niveau, celui du respect et de l'écoute.
Il en est revenu transformé, ne cherchant plus à forcer la conversion. On en voit l'impact dans le chapitre 16, 5-6 de la Première Règle : « les frères qui s'en vont peuvent vivre spirituellement parmi eux (les Sarrasins) de deux manières. Une manière est de faire ni disputes ni querelles, mais d'être soumis à toute créature humaine à cause de Dieu et de confesser qu'ils sont chrétiens ».
Assurer une présence humble au milieu des populations en confessant sa foi en Jésus. François était loin en avant de son époque.
Cette exigence de la Règle a continué de faire son chemin et on en voit l'actualisation plus poussée aujourd'hui dans les dialogues engagés par les franciscains et autres communautés avec les musulmans. Le pape François s'inscrit dans cette voie et donne l'exemple audacieusement.
Gwenolé Jeusset est lui-même profondément engagé dans ce dialogue. L'ouvrage minutieusement documenté qu'il nous offre prend soin, dans le dernier chapitre, de démontrer l'actualisation de cette intuition évangélique de François dans le dialogue interreligieux.
L'expérience d'évangélisation à travers la présence humble des chrétiens se poursuit. Les commentaires de l'auteur ont une pleine actualité pour éclairer les attitudes à développer dans nos propres milieux au Québec quant à nos relations avec les immigrants de foi et de culture musulmane. L'autre n'est jamais très loin ni étranger à notre propre recherche spirituelle, aux valeurs de foi que nous choisissons de vivre. Ce sont l'ignorance et les préjugés qui érigent des murs et nourrissent les peurs.