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APRÈS LE SYNODE : QUE RESTE-T-IL DE NOS AMOURS ?

LA FAMILLE, LE SYNODE, RÉFLEXIONS ET ENJEUX

Le Synode sur la famille se déroule sur deux ans. Une audace incroyable et un effort sans précédent pour tout mettre sur la table. Les défis sont grands et les attentes immenses. Que restera-t-il après toutes ces interrogations et ces ouvertures demandées ?
« Dans beaucoup de cas, la décision de vivre ensemble est le signe d’une relation qui se place vraiment dans une perspective de stabilité. »

Les mois d’octobre 2014 et 2015 ont vu l’Église catholique tenir un synode sur la famille. Après que la poussière ait quelque peu retombé sur les nombreuses couvertures médiatiques très collées aux positions parfois adverses et aux bruits de couloir du Vatican, que devons-nous comprendre de cet intérêt tout particulier du pape François pour la famille ? Et quelle surprise pouvons-nous attendre de l’éventuelle exhortation apostolique qu’il en tirera ?

Parlons d’abord des travaux. Les synodes des évêques, depuis leur réintroduction en 1967, ont été le plus souvent des lieux de parole plutôt encadrés, les évêques cherchant généralement à exprimer des positions orthodoxes dans un langage plus contemporain. Il suffit de penser aux différents thèmes étudiés en synodes pour se laisser convaincre qu’en dehors des cercles très proches de la curie et du milieu clérical, peu de baptisés de par le monde s’y intéressaient vraiment.

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Le pape François avait surpris tout le monde en faisant précéder les travaux préparatoires du synode ordinaire de 2015 sur la famille par un synode extraordinaire sur le même thème, une année plus tôt. De plus, il invitait tous les baptisés à une vaste consultation autour des grandes questions qui concernent les familles dans le monde d’aujourd’hui. Enfin, aux évêques et cardinaux réunis lors de ces deux rencontres automnales, il demandait de quitter la langue de bois usuelle et d’utiliser un parler franc, libre et sans autocensure.

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La première semaine, chacun des 360 participants disposait de trois minutes pour exposer une situation, mettre l’emphase sur un aspect particulier ou proposer des ouvertures. C’est d’ailleurs durant cette semaine inaugurale que les polarisations ont été plus largement connues. Ensuite les groupes linguistiques ont vraiment donné le coup d’envoi aux échanges, au travail d’« harmonisation » et à l’élaboration des propositions à soumettre à l’assemblée.

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Les sujets de discussion n’ont pas manqué. Les 94 recommandations du rapport final abordent les mariages mixtes, la liberté religieuse, l’éducation des enfants, les médias, les écoles catholiques, la protection de la vie incluant l’avortement, l’euthanasie et la peine de mort, mais aussi l’adoption, la théorie du genre, la formation des prêtres, la préparation au mariage, les migrants, les chrétiens persécutés, les personnes âgées, la pauvreté et l’exclusion, les conflits et les tensions sociales, etc.

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Ajoutons à cette longue liste les trois questions controversées : la situation des divorcés-remariés par rapport à l’Église, leur accès à l’eucharistie et les « unions » homosexuelles.

La première des choses à remarquer est une sorte de déplacement de posture. Tout en n’oubliant pas qu’ils sont les gardiens de la Vérité révélée, les évêques ont semblé plus attentifs aux situations qui leur ont été décrites. C’est ainsi que l’on voit reconnaître le caractère positif de certaines situations jugées « non conformes ». Il en est ainsi pour les unions libres – qui se répandent plus vite que les mariages sacramentels – et qui devraient « être abordées de manière constructive ». Il n’y a pas si longtemps, la remarque suivante aurait suscité des réactions fortes : « Dans beaucoup de cas, la décision de vivre ensemble est le signe d’une relation qui se place vraiment dans une perspective de stabilité. » L’union de fait devient donc un point de départ vers la fidélité plutôt qu’une situation à condamner.

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Le synode reconnaît que le mariage n’est pas une réalité abstraite. Cela implique que la vision idéalisée et l’appel à la grâce du sacrement ne permettent pas de régler tous les problèmes du couple et de la famille ! Les pères synodaux se proposent ainsi de mieux accompagner les familles dans leur réalité de vie et dans leurs défis « en leur donnant courage et espérance et en s’appuyant sur la miséricorde de Dieu ».

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Pour les divorcés remariés, notons de beaux passages, notamment que « dans certaines circonstances (liées à la crise d'un couple), la responsabilité d'une action peut être atténuée ou annulée ». Le Saint-Siège a d’ailleurs déjà publié les nouvelles modalités facilitant l’accessibilité aux déclarations de nullité qui ferait davantage confiance en la conscience individuelle. Par-dessus tout, le rapport invite les communautés à se montrer plus ouvertes à l’intégration de ces couples réengagés « de toutes les manières possibles », spécifiant qu’ils ne sont pas excommuniés.

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La communion eucharistique pour ces derniers a fait l’objet, via les médias, de débats préalables au synode. Des tensions vives ont fait surface et on a même pu voir un mouvement frontal de cardinaux s’opposant à toute ouverture doctrinale qui remettrait en cause l’indissolubilité absolue et le caractère adultère de telles unions. Mais le rapport synodal semble contenir une petite brèche en introduisant l’idée d’un discernement prenant en compte le for interne afin de concourir « à la formation d’un jugement correct sur ce qui fait obstacle à la pleine participation à la vie de l’Église ». Cela pourrait-il aller jusqu’à encourager un évêque à autoriser certains couples à communier ? Quant à la possible reconnaissance, même pénitentielle, d’une seconde union, il faut s’en remettre au pape.

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Autour de la question de l’homosexualité, les positions modérées ont vite été balayées par un vent de conservatisme voire carrément homophobe qui persiste en certaines régions du monde. L’Europe est elle-même très divisée sur ce sujet, à preuve le succès de la Manif pour tous en 2013 contre le mariage gay. Le rapport dit nettement : « Il n'y a aucun fondement pour établir des analogies, mêmes lointaines, entre les unions homosexuelles et le dessein de Dieu sur le mariage ». Toutefois, « l'Église répète [aux familles concernées] que chaque personne, indépendamment de sa tendance sexuelle, doit être respectée dans la dignité et accueillie avec respect, avec le souci d'éviter toute marque d'injuste discrimination ».

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Autre point à signaler : à une certaine culture de mort qui affecte le souci de la vie depuis la conception jusqu’à la mort naturelle, le synode a voulu marquer sa compassion envers les générations âgées qui tendent à « être perçues comme un poids », en insistant sur le devoir de la famille chrétienne à « prendre soin du lien entre les générations ».

Pour celles et ceux qui attendaient un certain allègement, l’amertume pourrait être réelle. La liberté « souveraine » avec laquelle le pape François rédigera sa prochaine exhortation n’est pas si rassurante, en y réfléchissant bien. Qu’un homme seul, puisse-t-il être le souverain pontife, soit invité à trancher sur des questions controversées comme la communion pour les divorcés-remariés, la reconnaissance éventuelle d’une union après divorce et également sur la prise en compte des notions plus actuelles sur l’homosexualité, est une lourde responsabilité.

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Mon espérance se tourne vers le chemin de la miséricorde que l’Église a été conviée à emprunter de nouveau en cette année sainte. Si la parole d’un pape ne parvient pas à unifier le peuple de Dieu, peut-être que l’appeler à la conversion le mettra en marche ! Sur ce chemin, nous sommes invités à reconnaître l’amour tel qu’il est : l’amour humain qui s’ouvre à une fécondité plurielle et qui rayonne tout autour de lui; l’amour de toute personne acceptant humblement de remettre sa vie entre les mains de Dieu qui la conduit vers toujours plus d’amour : de soi, d’un ou d’une autre, des autres et de Dieu lui-même ! 

vol. 121, no 1 • 15 mars 2016

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