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POUR UNE UNITÉ POLYPHONIQUE

BRUNO DEMERS

Dieu veut l’unité de la famille humaine parce qu’il a créé l’humanité. Mais, ce à quoi nous rend sensible le dialogue interreligieux, c’est qu’il s’agit d’une unité polyphonique qui respecte la diversité des autres croyances.

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Parler du dialogue interreligieux est déjà bien mais initier les étudiants à la pratique du dialogue interreligieux est encore mieux.

La semaine de prière pour l’unité des chrétiens ramène annuellement à l’avant-plan la préoccupation d’en arriver à un témoignage unifié à la force de l’Évangile. Le concile Vatican II a marqué une étape déterminante dans ce grand projet. Mais l’ouverture aux autres manifestée lors de ce même Concile est encore allée plus loin. Elle nous a conviés à rencontrer aussi les croyants des autres religions. Dans cette nouvelle perspective, peut-on encore parler de recherche d’unité? Étant donné la grande différence entre le dialogue œcuménique (entre confessions chrétiennes différentes qui partagent toutes l’attachement à Jésus Christ) et le dialogue interreligieux (entre traditions religieuses qui ne s’entendent même pas sur l’existence d’un être suprême), la question mérite d’être posée.

 

Une piste de réponse se trouve dans la recommandation de Nostra Aetate qui, dans son préambule, commence par rappeler la tâche de l’Église « de promouvoir l’unité et la charité entre les hommes et aussi entre les peuples.. »[1]. Oui, Dieu veut l’unité de la famille humaine parce qu’il a créé l’humanité. Mais, ce à quoi nous rend sensible le dialogue interreligieux, c’est qu’il s’agit d’une unité polyphonique qui respecte la diversité des autres croyances.  Nous avons ici l’apport spécifique des rencontres interreligieuses à la quête d’un meilleur vivre ensemble entre peuples divers, dans les sociétés contemporaines marquées par la mondialisation.

LE DIALOGUE INTERRELIGIEUX

Cette prise de conscience s’est imposée et développée en moi en préparant et en donnant un cours sur le dialogue interreligieux à dix reprises sur une période de plus de vingt ans (1997-2018) à l’Institut de pastorale des Dominicains à Montréal. Alors qu’au début j’étais mû par la curiosité et la volonté de contribuer à la recherche de la paix, sont apparues d’autres motivations : l’approfondissement de ma propre foi et une nouvelle façon de voir l’unité, moins axée sur la référence à un héritage commun que sur l’apprentissage d’un véritable respect de l’altérité des autres croyants, car il s’agit d’apprendre à vivre avec les différences. Ce qui m’incite à parler ici d’unité polyphonique.

 

L’idée de créer un tel cours m’est venue assez simplement. Fraîchement arrivé de Paris où j’avais complété la scolarité du doctorat en théologie, un de mes amis, au cours d’un repas pris dans sa famille, m’a lancé le défi d’aborder une question contemporaine comme celle du dialogue interreligieux : cela serait utile pour l’Église et pour la société! Cette simple suggestion est venue comme éveiller une préoccupation qui sommeillait en moi depuis un certain temps : satisfaire ma curiosité à l’égard des autres religions. Pour un théologien, comment ne pas être intéressé à connaître les autres religions et la foi de leurs adeptes ? D’autant plus que mon directeur de thèse, le dominicain Claude Geffré, avait lui-même déjà débroussaillé ce sujet bien que, à l’époque, je n’avais pas encore lu ses nombreux articles.

 

Au début, le cours n’avait qu’un crédit. Très rapidement, il m’a fallu deux crédits pour couvrir la vision chrétienne des religions et la présentation de deux traditions religieuses : le judaïsme et l’islam. Chemin faisant, le bouddhisme et l’hindouisme se sont ajoutées dans un cours de trois crédits ou 45 heures.

 

Il ne suffit pas d’évoquer l’unité de la famille humaine et la charité chrétienne pour se lancer dans le dialogue interreligieux. Car, très vite, des questions redoutables viennent nous confronter : Le pluralisme religieux relève-t-il du dessein de Dieu ? Jésus Christ n’est-il qu’un médiateur parmi d’autres ? Toutes les religions se valent-elles ? Le dialogue interreligieux remplace-t-il la mission ?

DES REMISES EN QUESTION

On le voit tout de suite, s’intéresser à ce sujet remet en question beaucoup d’éléments de la théologie traditionnelle. Comment répondre aux nouvelles interrogations tout en fidèle à la foi en Jésus Christ? Ces nouvelles préoccupations impliquent de réinterpréter les thèmes classiques. Le défi est de taille mais il constitue une occasion très riche d’approfondir la foi chrétienne. On en a eu une première expérience lorsque le thème de l’œcuménisme est venu bouleverser la théologie traditionnelle. Le dialogue interreligieux, lui, nous confronte à des questions plus redoutables encore. Plusieurs théologiens, comme Edward Schillebeeckx, Jacques Dupuis, Claude Geffré ont déjà lancé la réflexion. Celle-ci s’est poursuivie avec Michel Fedou, Henri de la Hougue et Michel Younes, pour n’en mentionner que quelques-uns dans l’univers francophone. Du côté du magistère de l’Église, un texte du Secrétariat pour les non-chrétiens se singularise : Attitude de l’Église catholique devant les croyants des autres religions publié en 1984. Il faut également signaler un texte du pape François écrit avec l’imam Al-Tayeb d’Al-Azhar : Le Document d’Abou Dhabi sur la Fraternité, publié en 2019.

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Parler du dialogue interreligieux est déjà bien mais initier les étudiants à la pratique du dialogue interreligieux est encore mieux. Au début, j’ai présenté le judaïsme et l’islam aux étudiants. Mais je me suis vite rendu compte des limites de mes connaissances. D’ailleurs, la meilleure façon d’introduire les étudiants à la rencontre des autres religions n’est-elle pas de faire appel au témoignage des croyants des autres traditions ? Les huit dernières éditions du cours ont donc comporté des visites dans des lieux de culte mais, pour ne pas se contenter de faire du tourisme interreligieux, j’ai ajouté une rencontre supplémentaire à chaque visite d’un lieu de culte, avec des croyants des autres communautés pour permettre aux étudiants d’approfondir les autres religions et même de faire un début de dialogue interreligieux.

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DANS LE RESPECT DE L’ALTÉRITÉ

Ce cours a toujours été apprécié et encore plus quand j’ai ajouté les visites de lieux de culte. Pour plusieurs étudiants, cela fut l’occasion, pour la première fois, de rencontrer des juifs, des musulmans, des bouddhistes et des hindouistes, et d’aller dans des lieux de culte comme une synagogue, une mosquée, un temple bouddhiste ou encore hindou.

 

Nous avons toujours été, on le devine, très bien accueillis dans les divers lieux. Certaines communautés offraient même un goûter, sinon carrément un repas. C’était pour eux l’occasion d’exercer un véritable accueil. Nous avons même eu l’occasion, à quelques reprises, d’assister à une prière de la communauté.

 

Ce dont je suis le plus fier c’est d’avoir offert aux étudiants de rencontrer, en personne, un croyant juif, musulman, bouddhiste et hindou. Cette simple opportunité a permis à plusieurs de dépasser les préjugés spontanés associés aux étrangers, à ceux qu’on ne connaît pas. De plus, les entendre parler de leur tradition avec une vision articulée permettait d’entrer en contact avec de véritables mondes religieux et sociaux tellement différents du nôtre. Cela suscite et cultive le respect de l’altérité, très loin du prosélytisme.

[1] Nostra Aetate, Préambule à la déclaration, premier paragraphe. Site du Vatican.

vol. 128, no 1 • Mars 2023

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