Le titre de l’article révèle déjà la trame de fond qui a guidé toute la vie de Mariette Milot, sasv. Nourri d’Évangile, son engagement pour la justice s’inscrit dans toute son histoire. Aujourd’hui comme hier, au Brésil comme au Québec, vocation religieuse et justice sociale se conjuguent au présent dans sa vie pour témoigner de ce qui est essentiel à ses yeux : l’amour de Jésus pour les petits et pour les pauvres.
Affiche du documentaire sur Mariette Milot.
« Le monde entrait en moi sans que je le sache et il n’en est jamais ressorti! »
(1C71)
Je suis née dans un petit village de la région de Nicolet, Sainte-Monique, de parents très simples, pauvres même, mais ouverts aux plus démunis et surtout au monde. Mon père fait l’expérience de la guerre effrayante des tranchées, 1914-1918 : son œil reflète la tristesse et en même temps la fierté et le courage; il nous rapporte UN souvenir : la fois où son régiment est revenu au camp avec 50 hommes, alors qu’ils étaient partis 1 500! Durant la guerre 1939-45, à la radio et sur les journaux, il accompagne la marche des alliés d’une journée à l’autre, le doigt pointé sur sa carte d’Europe et ses yeux se mouillent souvent… les miens aussi alors que, petite dernière de la famille, je le suis partout. Le monde entrait en moi sans que je le sache et il n’en est jamais ressorti !
La maison chez nous était un peu le centre de la paroisse car tout passait par nos mains, au bureau de poste comme au central du téléphone; ma mère gérait tout cela « de main de maîtresse » et mon père l’appuyait. Ce qui me reste d’eux : leur priorité en tout pour les petits, les plus pauvres, les exclus. Une dame maintenant âgée, pauvre, qui a travaillé chez nous me disait récemment, le cœur gros : « Je n’oublierai jamais le jour où ta mère est venue me chercher pour m’asseoir à la table d’honneur, avec vous autres, après les funérailles de ta sœur… Je me suis sentie une personne importante ! ».
Jeune professeure dans mon village, j’étais portée vers mes élèves les plus démunis. J’ai fait une colère noire le jour où, sur une patinoire, un homme a enlevé des mains d’un de mes élèves le seul hockey qu’il avait jamais eu – je le lui avais donné en cadeau – et l’a brisé en jouant. Il s’apprêtait à partir, sans aucune rétribution au jeune propriétaire, quand du haut de mes 4 pi 8 po, je me suis interposée fermement et j’ai exigé l’achat d’un autre bâton. Le jeune, aujourd’hui adulte engagé, m’en parle encore quand il me rencontre.
Tout cela, pour donner origine au « feu qui me ronge » et à la « passion qui me dévore » depuis si longtemps : ce que je ne savais nommer alors, j’ai appris à l’appeler « Emmanuel, Dieu-avec-moi ». C’est ce même Dieu vivant qui m’a appelée un jour, qui est venu me chercher tout au fond de l’expérience amoureuse que je vivais avec un garçon de mon voisinage, pour m’aligner dans une voie « royale », celle de l’engagement évangélique auprès de mes sœurs et frères, celle de l’accueil indéfectible d’une Présence qui m’envoie jour après jour au milieu de notre monde, en communion profonde AVEC les personnes. Incapable de m’en sauver !
Je suis une chanceuse! On dirait que j’ai couru après la chance toute ma vie. Peut-être que je me suis aidée de temps à autre, mais je considère que ce départ de chez moi, en réponse à une invitation toute gratuite à devenir religieuse chez les Sœurs de l’Assomption de la Sainte Vierge de Nicolet, m’a projetée dans une aventure inimaginable à laquelle je n’avais pas même rêvé. Trois ans après ma profession temporaire, je suis blessée au cœur par le récit des sœurs missionnaires qui passent à la maison de Montréal où je demeure ; un désir s’installe alors en moi : devenir missionnaire à mon tour. Pourquoi pas ? Un an après, je pars pour le Brésil, j’ai 30 ans. Une chance comme celle-là, ça ne peut s’évaluer : seule « la brûlure » d’un Amour immense peut l’expliquer.
(À suivre…)