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QUÊTE SPIRITUELLE

MON PÈRE, CET HOMME QUI ME RÉVÈLE À MOI-MÊME

Les dernières semaines, je les ai passées, en grande partie auprès de mon père qui a perdu beaucoup de l’autonomie dont il jouissait, il y a encore un mois. Suite à une chute provoquée par un AVC, sa vie a basculé. Il se déplace difficilement, il porte une sonde urinaire qui l’ennui en réduisant son corps à une lourde charge à porter. Il se voit diminuer, se sent dépendant et la force de vivre s’amenuise.
Cela a toujours été pour moi un grand privilège de paraître, accompagné de mon père,  dans l’église où j’ai été baptisé. C’est comme si nous ne faisions plus qu’un. 

C’est un temps difficile mais, en même temps, je ressens une grande proximité avec lui, comme je ne l’ai jamais ressentie, en même temps qu’une grande tendresse. Parfois, pour le détendre, je lui lave les pieds, tout doucement … Un geste que je n’aurais jamais pensé faire pour mon père. Le plus surprenant peut-être, c’est qu’il accepte ce geste, qu’il l’accueille avec bienveillance.

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Je me rappelle une fois, il y a de cela plus de 30 ans, je lui avais écrit une lettre dans laquelle j’exprimais mon désir de le connaître d’avantage. Mon père parle peu, moi de même. Il m’avait appelé alors que j’habitais Montréal avec ma compagne, Nathalie. Il m’invitait à venir le rencontrer au sous-sol de l’église de Côte-des-Neiges où il avait été invité à témoigner dans un groupe AA. En réalité, je n’ai jamais connu ce père alcoolique. Il est entré dans le mouvement plusieurs années avant son mariage et il y est demeuré depuis plus de 57 ans. Je l’ai écouté raconter sa vie et j’ai découvert tout un pan de son histoire qui m’était inconnu. Il s’est établi entre nous, ce jour-là, une grande proximité devenue avec le temps, une tendresse étonnante. À la sortie de la rencontre, nous avons partagé un repas que je n’oublierai jamais. C’était dans un restaurant de la Petite Italie…. Volubile, il l’a été cette soirée-là, comme il ne l’avait jamais été. Et plus jamais, par la suite, il ne l’a été.

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Je passe sous silence un après-midi, dans une chambre d’hôpital, alors que j’avais 21 ans. J’avais la leucémie. Il était assis, dans un coin de la chambre, un livre à la main. Je l’avais appelé papa, il était venu me retrouver au pied du lit. Je lui avais pris la main et lui avais murmuré : je t’aime. Jamais plus je ne me suis permis une telle confidence. Ces dernières semaines, je me sens de nouveau frayer avec cette immense tendresse. Mais, tout en parallèle, je me sens parfois perdre pied, rongé par la peur et l’angoisse. Parfois, nos regards se croisent, une lumière d’une grande douceur m’éblouie. J’aimerais y pénétrer et m’en laisser bercer. C’est toute une vie qui trouve comme un accomplissement. Peut-être qu’à  cette lumière, je devrais donner le nom d’espérance…

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Il y a un autre espace où s’exprime cette illumination. Mon père est très attaché au rituel catholique pratiqué à l’église de sa paroisse. Parfois, quand je suis chez lui, à la campagne, nous allons assister à la messe ensemble, le dimanche matin. Cela a toujours été pour moi un grand privilège de paraître, accompagné de mon père,  dans l’église où j’ai été baptisé. C’est comme si nous ne faisions plus qu’un. Après la récitation du Notre Père, quand le prêtre nous invite à nous donner la paix, nous nous prenons dans les bras l’un et l’autre. Cet espace, très intime, marque pour moi une autre manifestation de ce que j’appelais plus haut l’espérance.

vol. 121, no 4 • 15 décembre 2016

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