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Comment l’élection du pape François est-elle reçue ? Quelle perception en a-t-on ? L’impact de l’homme est fulgurant ; il suscite un espoir immense de changement. Avec lui, c’est un air de neuf qui entre dans l’institution. Son approche est révolutionnaire tout en s’inscrivant dans la continuité. Il fait de l’annonce de l’Évangile à tous, sans exclusion, une exigence pressante. Cette annonce passe par la conversion intérieure. 
Il faut « aller vers les autres », en dialoguant avec tous nous dit François.

On m’a demandé d’évoquer pour vous la perception que j’ai développée depuis l'élection du pape François et en quoi il me rejoint comme croyant au sein de l'Église du Québec et de notre société en transformation.

UN AIR NEUF

D’entrée de jeu, je vous avoue avoir été touché par le « rayonnement contagieux de l’évangile du pape François » pour reprendre la formule de l’écrivain, journaliste et éditeur français Michel Cool. Citant des témoignages recueillis à Rome lors du dernier synode sur la famille, ce spécialiste de l’information religieuse résumait bien ce que je ressens depuis l’arrivée de François : « On respire un air neuf ». Vous vous souvenez, au balcon de la place Saint-Pierre, de cette humble demande faite à la foule et au monde de « prier pour lui » ? Spontanément, je l’ai fait.

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Très tôt, il m’a rejoint, par sa manière d’être et d’incarner la force subversive de l’Évangile, par une foule de petits gestes et de choix symboliques tels sa soutane blanche ou ses modestes appartements. Plusieurs fois par semaine, je consulte les transcriptions des homélies qu’il prononce lors de la messe qu’il célèbre à la chapelle de la Maison Sainte-Marthe au Vatican. Le pape François s’y exprime simplement.

UNE CONTINUITÉ RÉVOLUTIONNAIRE

Pour décrire le 266e pape, l’auteur et journaliste Frédéric Mounier a parlé d’une « continuité révolutionnaire ». Si François s’appuie sur le même corpus doctrinal, la même inspiration évangélique que Benoît XVI, ses postures, ses attitudes, sa grammaire sont différentes. Il revient sans cesse sur le pardon, la miséricorde, la tendresse, les bras ouverts…

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Je n’oublie pas Benoît XVI, qui au début de son pontificat nous invitait à retrouver la joie d’être chrétien. Comme Jean-Paul II, lui aussi nous a répété de ne pas avoir peur. Fatigué et emporté par les dysfonctions de l’incurie romaine (qu’on me pardonne le jeu de mots), il n’aura pas eu peur en renonçant à sa charge. J’ai accueilli et médité ce retrait comme un profond témoignage de service. Le courage, la lucidité et l’humilité de ce geste prophétique envoyaient aussi un message fort à tous les évêques et les cardinaux dont certains en poste actuellement ici et ailleurs serviraient sans doute mieux leur communauté s’ils se retiraient.

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Le pape François aussi nous répète depuis son arrivée de ne pas avoir peur. Il ne cesse de nous mettre en garde contre tout repli sur nous-mêmes. Repli frileux dans nos communautés, nos vieilles habitudes, nos anciennes pratiques.

…SANS EXCLURE PERSONNE

J’ai lu, et je retourne sans cesse à son exhortation apostolique Evangeli Gaudium, La joie de l’évangile. Dès les premières pages, le ton est donné lorsqu’il évoque « ces chrétiens qui ont un air de carême sans Pâques ». Notre devoir, écrit-il, « est d’annoncer l’évangile sans exclure personne, » et il invite chacun à « sortir de son confort et à avoir le courage de rejoindre toutes les périphéries. » Le Synode sur la famille nous a permis de mesurer les résistances au changement. Qu’il s’agisse de la question des divorcés remariés, ou de l’accueil des personnes homosexuelles.

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Au Québec, dans l’ensemble de la société, les positions du magistère sur ces questions suscitent une grande indifférence. D’ailleurs, dans les faits, toutes les personnes gaies ou divorcées que je connais s’approchent librement de la table eucharistique, en faisant heureusement fi de ses interdits, car ils se savent aimés et croient en cet amour plus fort que tout.

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Si, d’une part, la majorité des catholiques québécois ne s’encombrent pas de ces dogmes, je constate d’autre part qu’il existe un réel repli identitaire et nostalgique qui se traduit par une volonté de restaurer l’Église dans la splendeur de son culte et de ses pratiques… et de ses exclusions. Certains pasteurs excluent en effet de nouveau les femmes de certaines tâches liturgiques !

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Je suis troublé également lorsque l’on assimile la nouvelle évangélisation à l’exposition du Saint-Sacrement ou à la récitation du chapelet. « La nouvelle évangélisation ne peut qu’utiliser le langage de la miséricorde, fait de gestes et d’attitudes avant même que les paroles ». Il faut « aller vers les autres », en dialoguant avec tous nous dit François.

Son arrivée aura-t-elle un impact sur ces catholiques québécois qui continuent de déserter l’institution sur la pointe des pieds? Le mouvement ne date pas d’hier. C’est le grand schisme silencieux d’Occident. Il s’agit souvent de chrétiennes et de chrétiens engagés dans leur milieu qui n’en peuvent plus des lourdeurs institutionnelles et qui cherchent à vivre leur foi autrement. D’autres communautés émergent au Québec. Il s’agit souvent de petits groupes « d’électrons libres » qui se réunissent pour méditer la parole, et qui font mémoire du Seigneur en privé. Il ne s’agit pas d’un repli, mais d’un authentique enracinement de foi.

NÉCESSAIRE CHEMIN DE CONVERSION

Dans Evangelii Gaudium, François, insistait sur le nécessaire chemin « d’une conversion pastorale et missionnaire, qui ne peut laisser les choses comme elles sont. » Comment l’institution accueillera-t-elle ces nouvelles pratiques dans les années à venir? Comment maintenir une nécessaire communion ?

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Joseph Moingt est Jésuite. Il appartient à la même famille religieuse que Jorge Mario Bergoglio. Dans son dernier ouvrage, L’évangile sauvera l’Église (Édition Salvator), il ne se fait cependant pas d’illusions.

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« Ne croyez pas que l’Église va d’elle-même nous proposer un peu de démocratie. L’église a horreur du changement. Et il y a encore de nombreux chrétiens qui ne sont chrétiens que par attachement à l’autorité de la tradition et la sacralité de son gouvernement » (p.141) « On peut essayer de la faire bouger, sans avoir l’espoir de la faire beaucoup avancer. Elle est tellement attachée à son passé, en gros à une primauté papale restée patriarcale, à une constitution hiérarchique basée sur le principe monarchique. On ne peut guère espérer qu’elle bouge beaucoup à cet égard. » (p. 264)

En d’autres mots, malgré l’espoir que suscite l’arrivée du nouveau pape, je ne crois pas non plus que l’institution ecclésiale québécoise soit à la veille d’une révolution… Je crois cependant que la liberté de l’évangile est plus forte que tout.

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En écoutant François, il m’arrive souvent de songer à Madeleine Delbrêl dont on souligne cette année le 50e anniversaire de la disparition. Cette femme qui demeure pour moi un modèle disait que « le missionnaire est quelqu’un qui prie, quelqu’un qui témoigne, quelqu’un qui aime. » Dans la même veine, j’essaie de vivre ce christianisme d’« en bas », dont le pape se fait l’apôtre : un témoignage cohérent et incarné, vécu dans la pâte du monde avec nos frères et nos sœurs de tous horizons.

vol. 119, no 6 • 15 décembre 2014

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