GENS QUI INSPIRENT
LA FACE CACHÉE DE L’IMMIGRATION
PIERRETTE BERTRAND, ofsj
Les mobilisations et les actions collectives démontrent une véritable volonté de la société québécoise d’améliorer les conditions d’accueil
des demandeurs d’asile.
« On est à 400 % de notre capacité, sans financement conséquents pour répondre aux besoins émergents. »
Il y a quelque temps, Jean-François Lisée écrivait : « Si vous ou moi étions Haïtiens, Cubains, Guatémaltèques, entre plusieurs autres, nous remuerions ciel et terre, vendrions tous nos biens, nous nous endetterions jusqu’aux yeux pour arriver en territoire états-uniens, prendre la route qui mène au chemin Roxham et tenter notre chance d’avoir, pour nos enfants, une vie immensément meilleure au Canada ».
DEMANDER DE L’AIDE
L’un de ces matins, sonne à la porte un monsieur syrien retraité, accompagné d’une dame tchadienne monoparentale et de sa petite fille de six ans à peine. Le monsieur parle arabe et la conversation devra se dérouler avec interprète. À peine assise, l’enfant tombe endormie sur le bord de la table et la maman la regarde tendrement en essuyant ses larmes. Monsieur Hamad, voisin de cette dame, raconte l’histoire. Il vient chez les sœurs ce matin demander de l’aide parce qu’il a fait ce qu’il a pu pour aider la mère, mais il entend constamment pleurer sa petite fille.
Au fait, les dents de Nour sont entièrement cariées et pour calmer la douleur, la maman n’a d’autres moyens que de lui donner à répétition des aspirines pour bébé. L’enfant a été placée à la maternelle, mais elle ne fonctionne pas et on l’a retournée à la maison en informant la mère que son enfant a besoin d’être évaluée et que l’établissement n’a pas sur place le personnel qualifié pour le faire. La petite s’éveille en pleurant et la mère la caresse et la prend dans ses bras avec amour.
M. Hamad raconte qu’il a amené l’enfant au CLSC mais on lui a dit que le statut de la mère rend l’enfant inadmissible à des soins de santé. En effet, les demandeurs d’asile ne peuvent avoir accès à bon nombre de services publics. Il l’a ensuite amenée à la clinique dentaire, mais on lui a fait comprendre que l’enfant doit se présenter à une clinique pédiatrique. Conscient qu’il n’a pas les moyens financiers pour assumer le coût du traitement, il a proposé à la dame de la conduire chez les sœurs qui parrainent des Syriens.
LE MIRACLE S’EST PRODUIT
Vous devinez le reste de l’histoire… Plusieurs rendez-vous seront nécessaires, puis une évaluation psychologique suivra, car l’enfant a vécu de lourds traumatismes depuis sa naissance. Elle sera à la fin, envoyée dans une école spécialisée. Deux ans plus tard, un de ces matins, on sonne à la porte… Nour, toute rieuse, nous apporte les biscuits que sa maman a fabriqués et Kadidja nous remet une photo de sa fille avec des remerciements chaleureux en français. Le miracle s’est produit…
Il y a quelques mois, j’ai rencontré Hamad devenu bénévole à l’urgence de l’Hôpital Sacré-Cœur. Tout fier, dans son dossard rouge sur lequel il a cousu le drapeau de la Syrie, il m’a accompagnée au bureau où je devais me présenter. Il est trop âgé pour revenir à sa profession d’ingénieur, mais tous les matins, il est heureux de reprendre du service à l’hôpital, peu importe ce qu’on lui demande.
AMÉLIORER LES CONDITIONS D’ACCUEIL
Qu’adviendra-t-il de Kadidja et de sa fille Nour ? Paniqué par l’afflux de demandes, Ottawa a annoncé que plus de 90 % de ces demandeurs finiraient par être renvoyés, car ne satisfaisant pas aux critères de l’asile. On sait cependant que des dizaines de milliers de personnes disparaissent dans la nature et préfèrent vivre sans papiers au Québec et au Canada plutôt que d’être reconduites dans leur pays d’origine.
Depuis des mois, plusieurs quartiers de Montréal se mobilisent pour répondre à la détresse des demandeurs d’asile et pallier les faits d’un système d’accueil déficient. Mais malgré la volonté et les efforts mis en œuvre pour relever les défis d’une crise qui continuent de couver, les ressources communautaires ne suffisent pas et les équipes frôlent l’épuisement. « Nos services sont étirés au maximum. On est à 400% de notre capacité, sans financement conséquents pour répondre aux besoins émergents », déplore le directeur général d’une ressource alimentaire qui dessert Côte-des-Neiges.
Si le phénomène des migrations n’est pas nouveau, on compte aujourd’hui le nombre le plus élevé de personnes officiellement déplacées dans le monde depuis la Deuxième Guerre mondiale, une situation que les conflits et les changements climatiques risquent d’aggraver. Or les mobilisations et les actions collectives nées spontanément dans les différents quartiers qui, depuis plusieurs mois, ont permis de contenir une crise humanitaire, démontrent une véritable volonté de la société québécoise d’améliorer les conditions d’accueil des demandeurs d’asile.