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Gens-qui-inspirent

GENS QUI INSPIRENT

CONFIANCE ET OUVERTURE EN TERRITOIRE ANICINABE

MATHIEU LAVIGNE

L’auteur nous donne le témoignage de sa rencontre avec Monique Papatie, cette femme qui a retrouvé ses racines comme autochtone anichinabe. Elle enrichit son engagement pastoral dans son Église. On la surnomme la mère Teresa de Kitcisakik.

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En l’église Sainte-Clotilde, située en plein cœur de la presqu’île du Grand Lac Victoria, Monique parle à son Créateur directement.

C’est un matin d’été un peu frais. Je suis arrivé sur la presqu’île du Grand Lac Victoria la veille, à l’invitation de soeur Renelle Lasalle, qui a oeuvré auprès des communautés anicinabek de Kitcisakik [1] et de Lac-Simon, en Abitibi-Témiscamingue pendant 12 ans et qui continue de séjourner au presbytère de la Mission en période estivale. Je marche sur la presqu’île, entre les maisonnettes en bois rond, alors que le village se réveille doucement, en ce matin frais et brumeux.

 

Mes premières heures en territoire anichinabe furent marquées par un certain choc. Je me lève un peu nerveux, dans le doute. Honte coloniale ? Choc culturel ? Sentiment d’être un peu voyeur, d’observer une communauté à distance, sans vraiment en être ? Puis, une voix s’élève, en provenance de la petite cuisinette où se regroupent pour les repas plusieurs personnes de passage sur la presqu’île, lieu important pour plusieurs familles anicinabek : « Tu veux un café ? »

 

Traversé par l’humidité du matin, j’accepte avec joie.

 

[1] Le campement d'été traditionnel de la communauté anicinabe de Kitcisakik se trouve au bord du Grand Lac Victoria. C’est là que se trouve l’église de la Mission Sainte-Clotilde et le cimetière traditionnel. Autrement, la communauté de Kitcisakik réside plus à l’est, à six kilomètres de la route 117, près du barrage Bourque, sur le réservoir Dozois. C’est là que se trouvent les installations desservant la communauté : bloc sanitaire, école primaire, dépanneur et station d’essence, bureaux du conseil de la communauté, etc. D’énormes génératrices assurent des services de base, car la communauté de Kitcisakik ne peut compter ni sur l’électricité, si sur l’eau courante… Pour plus de détails : https://lactualite.com/actualites/kitcisakik-pas-deau-courante-ni-delectricite-avant-au-moins-un-an/

UNE BONTÉ IMPRESSIONNANTE

Ce café qui tombe à point, il m’est offert par Monique Papatie. Née dans une tente au Grand Lac Victoria en 1952, Monique a été surnommée « la mère Teresa » de Kitcisakik par soeur Renelle Lasalle, sa grande amie et collaboratrice depuis plus d’une décennie. Pourquoi ce surnom ? Monique est toujours là pour les jeunes et moins jeunes, qu’ils soient de Lac-Simon, où elle a sa résidence, ou de Kitcisakik. À la presqu’île du Grand Lac Victoria, où elle passe l’été comme le faisaient ses parents et celles et ceux qui les ont précédés, Monique nourrit tous les gens de passage [2].

La bonté de Monique m’impressionne, surtout lorsqu’elle est dirigée vers les allochtones qui, comme moi, ne restent que quelques jours sur la presqu’île du Grand Lac Victoria. Chez elle, il n’y a que désir de rencontre, de transmission, de dialogue et d’apprentissage mutuel. Aucune colère, aucun ressentiment ne transparait, alors que je pourrais très bien représenter pour elle la cause de bien des injustices subies par elle et sa communauté.

[2] Pour en savoir plus sur ce que représente la presqu’île du Grand Lac Victoria pour Monique Papatie, voir cette capsule vidéo : https://www.missioncheznous.com/mme-monique-papatie-raconte-son-histoire/

BLESSURE ET RÉSILIENCE

Monique a vécu le système des pensionnats autochtones. Elle y a résidé pendant sept ans. Moment de rupture avec l’univers culturel et familial. Moment de grande blessure. Son père va décéder en plein coeur d’une année scolaire : jamais on ne jugera bon d’informer Monique de cette perte. Elle apprendra le décès de son père au moment des vacances estivales, seule période qu’elle passait auprès des siens. Les années suivantes seront marquées par une profonde inquiétude pour sa mère qui, après le décès de son mari, se retrouve dans une situation précaire. C’est cette pauvreté vécue, m’expliquera Monique, qui l’amène aujourd’hui à nourrir celles et ceux qui l’entourent. L’arrachement à son milieu familial aura créé un vide que les études universitaires et une carrière dans l’enseignement et la direction d’école ne pourront remplir.

 

À 50 ans, Monique prend sa retraite et retourne vivre dans le bois avec sa mère et sa belle-sœur. S’accélère alors une quête de soi. Elle réapprend, littéralement, sa culture, celle dont le pensionnat l’a privée : la langue, le piégeage, la chasse, la pêche, les plantes médicinales, l’artisanat, la cuisine, etc. Cette démarche prendra environ six ans; six années pour retrouver ses racines, pour se retrouver elle-même.

 

Malgré tout, malgré l’impact de la colonisation sur sa propre vie, malgré la participation de l’Église catholique au système des pensionnats, Monique porte un regard nuancé sur l’héritage chrétien. En fait, Monique continue de s’impliquer en Église, étant responsable de la pastorale dans les communautés de Lac-Simon (diocèse d’Amos) et de Kitcisakik (diocèse de Rouyn-Noranda). Malgré les souffrances, elle cherche à vivre en puisant dans les éléments positifs de son passé. Elle dira même pardonner à l’Église, précisant que le pardon n’est pas l’oubli. Lors de son témoignage lors de la Commission de vérité et réconciliation, elle demandera à soeur Renelle Lasalle d’être à ses côtés afin de symboliser ce pardon. Cette résilience me bouleverse. Cette capacité de distinguer les individus de l’institution m’impressionne. Sa capacité de distinguer Dieu de l’institution est aussi fascinante. En l’église Sainte-Clotilde, située en plein coeur de la presqu’île du Grand Lac Victoria [3], Monique parle à son Créateur directement. En cette église qui est Sa maison, elle chante [4], elle prie, elle pleure aussi parfois. Cette église lui rappelle celles et ceux qui sont passés y prier et y vivre les sacrements rythmant leur foi.

 

Je suis également ému par le désir de transmission qui anime Monique. Ce désir de voir sa culture se perpétuer. De voir la langue être enseignée, de voir le savoir-faire traditionnel être passé aux générations montantes, que l’on parle ici de la chasse, de l’artisanat, ou encore, de la production de sirop d’érable. Désir aussi que cette culture soit connue du côté allochtone, que la culture soit point de rencontre, mais aussi, que les allochtones apprennent de la culture anicinabe, dans un rapport d’égal à égal. Désir également de passer une mémoire, celle des personnes ainées dont elle s’applique à consigner les témoignages.

 

Puis, comment ne pas être chaviré par la gratitude qui transpire des paroles et des gestes de Monique ? Remercier les arbres avant de les entailler, puis refuser de vendre le sirop produit puisque la sève nous est donnée. Prier aux abords du lac et s’asperger de son eau pour en illustrer le caractère sacré et indispensable. Placer un collet et remercier la nature qui viendra la nourrir. Donner aux autres comme signe de gratitude envers celles et ceux qui ont rendu notre propre vie possible.

[3] Pour en savoir plus sur l’église de la Mission Sainte-Clotilde-du-Grand-Lac : http://www.ipir.ulaval.ca/fiche.php?id=240

[4] Pour un exemple de chant en anicinabe, voir cette vidéo qui met notamment en vedette Monique Papatie : https://www.lafabriqueculturelle.tv/capsules/10823/les-kokoms-de-lac-simon

TOUTE LA GÉNÉROSITÉ DU MONDE

Alors que je sirote mon café et que je mange mon premier morceau de bannique, Monique pose les yeux sur moi, en silence. Et je sens dans ce regard et ce sourire toute la générosité du monde. Elle voit en moi autre chose que le produit d’une histoire coloniale, autre chose que l’héritier d’un système. Et cet accueil imprime en moi ce désir : être à la hauteur de la confiance et de l’ouverture témoignées.

vol. 126 no 2 • Juin 2021

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