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Une franciscaine missionnaire de Marie d’origine malgache, un franciscain coréen et un capucin d’origine indienne, tous trois bien implantés dans leur communauté respective au Québec, nous partagent ce qu’ils ont vécu à l’arrivée et au cours de la première année. L’inculturation est exigeante et prend du temps. Après le choc initial, viennent les questions du comment ? Et du pourquoi ? sur notre manière d’être et de vivre.
La comparaison avec mon pays est inutile. L’important est d’être fidèle à la vie quelle que soit la situation du pays où nous vivons.

En septembre dernier, Lucie-Élise, malgache et franciscaine missionnaire de Marie, Joachim, coréen et franciscain, Benny, indien et capucin avaient été invités à parler de leur arrivée au Québec et de leur première perception ou inquiétude sur la société, l’Église, et la vie religieuse d’ici.

AH L’HIVER !

Pure coïncidence, ils sont tous arrivés ici en plein hiver. Frayeur et surprise, deux mots qui caractérisent cette arrivée. Quand je suis arrivé ici, c’était l’hiver et il faisait très froid, comme dans un frigo. Tout le monde était couvert de neige. Le Couvent franciscain de Rosemont était très grand, calme et silencieux comme un château hanté que j’avais vu dans un film occidental. J’avais alors peur de vivre dans ce couvent, dit Joachim avec un large sourire. Lucie-Élise enchaîne : Chez nous quand le soleil monte, il fait chaud. Un jour, il faisait soleil. Je me suis dit : enfin je vais aller dehors. Quelqu’un m’a dit de faire attention et qu’il fait très froid. Je suis sortie avec mes petites sandales. Je suis revenue aussitôt, saisie par un froid inconnu. Un soleil qui ne chauffe pas, quelle illusion. À l’arrivée à l’aéroport, le douanier insiste auprès de Benny : Monsieur, n’allez pas dehors avec votre chemise à manches courtes, c’est la mort assurée.

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Tout est nouveau : la forme des maisons, les meubles, les bruits. La délicatesse de l’accueil a été un souvenir chaleureux pour chacun : le mot bienvenu écrit dans la langue d’origine des arrivants, le drapeau, la photo.

PERCEPTION D’ICI À PARTIR D’OÙ L’ON VIENT

Quel premier regard sur la société d’ici portent-ils? Joaquim vient d’un peuple où la compétition pousse à un rythme de vie effréné et le mot vacances n’est pas dans le vocabulaire. C’est l’urbanisation accélérée. La vitesse est devenue une valeur en Corée. Lucie-Élise vient de Madagascar, pays insulaire, plus tranquille, dont la population est à majorité paysanne. Pour un, la vie du Québec est tranquille, les congés sont importants, les gens pensent souvent aux loisirs, les gens conduisent sans bruit et lentement. Bref, tout est calme. Pour l’autre, les québécois sont toujours au pas de course et ils semblent ne pas savoir pourquoi ils marchent si vite. On est toujours en retard et il faut constamment se mettre à jour. À Madagascar, on parle sous forme imagée pour transmettre un message. Ici, on ne va pas par quatre chemins, il faut dire les choses directement.

UN TEMPS DE CRISE DANS L’INCULTURATION

Chacun sait parler de l’hyperconsommation, de la compétition, de la sécularisation et même de la Révolution tranquille. Si des personnes plus âgées ont vécu une certaine hostilité et un rejet face à l’Église, Joaquim et Benny constatent que les plus jeunes n’ont aucun sentiment hostile face à l’Église catholique. Toutefois, il est arrivé à chacun de vivre des moments de découragement, de volonté de retourner en Corée, en Inde ou à Madagascar « où il y a tant de choses à faire ». Vivre avec des personnes qui sont toutes plus âgées que soi et apprendre le français pour un coréen ou un indien posent de grands problèmes pour la communication. La tentation est forte de s’isoler. J’ai appris le français à l’école, mais j’étais le seul homme asiatique. Toutes les autres personnes étaient latinos et parlaient beaucoup. J’étais le seul qui ne comprenait pas et qui ne parlait pas. Quelle période difficile ! Lucie-Élise, un peu timide, qualifie les célébrations liturgiques québécoises d’ennuyantes. Voir des églises vides le dimanche, avec des personnes âgées dispersées ici et là, j’ai bien de la difficulté à vivre cela. Elle ajoutera : La comparaison avec mon pays est inutile. L’important est d’être fidèle à la vie quelle que soit la situation du pays où nous vivons.

LE DROIT DE RÊVER ET L’IRRUPTION DES POURQUOI

Lucie-Élise, Benny et Joaquim appartiennent à des communautés religieuses internationales. Ils sont favorisés si on pense à leurs frères ou sœurs de leur pays d’origine qui arrivent ici sans cette appartenance. Une intuition commune et un lien profond les unissent déjà avant leur arrivée en sol québécois. Dans un premier temps, la communauté où ils vivent leur donne une idée de la société extérieure. Mais il demeure que la communauté ne peut être le seul lieu d’insertion.

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L’un d’eux s’inquiète du peu de place consentie aux jeunes dans les églises ou les communautés chrétiennes. Rester, passer du temps avec les jeunes, ce n’est pas du temps perdu. C’est un signe d’intérêt. Après une messe, les portes de l’église sont fermées presqu’immédiatement. Les jeunes ne peuvent y trouver en ce lieu, un moment pour s’arrêter ou rencontrer des amis. Il faut sortir.

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Pour Benny, les premiers mois font vivre le sentiment d’impuissance, d’être perdu. Une profonde solitude prend place. On se sent comme des petits enfants, en train d’apprendre une langue difficile, alors que dans mon pays, je serais en train de travailler. L’accompagnement ne se force pas. Avant de trouver des mécanismes d’accompagnement, il est nécessaire de créer un climat. La patience mutuelle, la bienveillance et la bonté réciproques sont des préalables.

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L’un des trois apporte une réflexion inattendue. Quand on arrive ici, pendant plusieurs mois, nos questions commencent par « comment »? Les gens autour de nous doivent avoir la patience de nous expliquer, de répondre à nos comment. Nos questions sont de l’ordre du faire, de la façon de nous comporter et de nous intégrer. Puis la confiance fait changer le genre de questions. C’est l’étape des pourquoi? L’étranger qui arrive ici a besoin de trouver des personnes ou un milieu propice pour chercher ensemble des réponses à ces pourquoi. Quand ni l’un ni l’autre ne sait la réponse, mais que l’un et l’autre doivent trouver une réponse ensemble, une nouvelle étape commence : l’accompagnement mutuel. Ce n’est plus l’étranger et le québécois, mais deux frères qui cherchent une réponse.

UN FRÈRE, UNE SŒUR

Boucar Diouf, scientifique, humoriste et chroniqueur, décrit bien le chemin de la fraternité : Un jour où je marchais sur la montagne, j'ai vu une bête. Je m'en suis approché et j'ai vu un homme. En m'en approchant encore, j'ai vu mon frère. Qu'il vienne chez nous pour s'installer ou qu'il ne fasse que s'arrêter, s'il travaille à s'intégrer, traitons-le comme un invité car il a beaucoup à donner, toute une richesse à partager. Si tu veux bien en profiter, laisse-toi aimer et être aimé. Ouvre ton coeur au monde entier, aux immigrés, aux réfugiés, quelque soit leur couleur.

vol. 120, no 1 • 15 janvier 2015

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