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RECONSTRUIRE LA COMMUNAUTÉ 
LE CENTRE DE SERVICES DE JUSTICE RÉPARATRICE

ESPÉRANCE

Estelle Drouvin travaille au Centre de services de justice réparatrice (CSJR) depuis 7 ans. Étienne Godard l’a rencontrée pour pouvoir, à travers son travail, suivre le fonctionnement  du CSJR.
Suite à un acte criminel, la justice réparatrice va au-delà de la réponse que propose la justice humaine. Le constat de départ de la justice réparatrice est que l’acte violent non seulement crée des victimes qui se trouvent expulsées de l’ordre  habituel de la communauté par la peur et la difficulté à se relever, mais qu’il déchire aussi le tissu social. Dans une optique de  réinsertion, l’auteur du crime peut aussi se retrouve face à un nœud, ostracisé, coupé du monde. La justice réparatrice propose un chemin pour restaurer un espace de vie communautaire.
Le sacrifice ou la nomination d’un bouc émissaire permet de mettre la fin à la crise qui risque, par le mimétisme, de s’enflammer en menaçant la survie de la communauté. Le christianisme propose une sortie de cet engrenage.

Le thème de ce numéro est l’espérance. Le chemin que nous invite à emprunter le Centre de services de justice réparatrice (CSJR)en est porteur. C’est en suivant le parcours d’Estelle Drouvin que j’ai été sensibilisé à l’approche du CSJR. Estelle est coordonnatrice au Centre. Je la connais depuis plusieurs années. Notre espace commun est celui du Relais Mont-Royal. En me faisant connaître le CSJR, Estelle traduit cette espérance dans une action vivante et engagée. C’est de cette action que je veux vous faire part dans cet article.

Cela fait sept ans qu’Estelle Drouvin travaille au CSJR. Précédemment, en France, elle a travaillé dix ans à la Fédération internationale de l'ACAT (Action des chrétiens pour l'abolition de la torture). Depuis quatre ans, elle est aussi accompagnatrice au Centre Le Pèlerin. Son regard invite à ne pas réduire l’autre à ce que l’on voit. Lytta Basset, théologienne, dans un livre intitulé Oser la Bienveillance, parle d’un concept sans âge : l’errance. La tradition biblique nous invite à entrer en relation avec cette errance.

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Devant la violence, le CSJR cherche à écouter, offrir des espaces de dialogue et à réintégrer les personnes dans la communauté. Là où il rencontre des fractures, il veut construire des ponts. La source du mouvement trouve ses origines au Québec: ce sont les traditions amérindiennes qui nous ont éveillées à cette dynamique. L’acte criminel est une atteinte directe à la vie de la communauté et, ultimement, c’est elle qu'elle cherche à guérir.  Lytta Basset associe le péché aux coupures que nous faisons dans nos relations. Pour elle, le péché, c'est la non-relation. Une personne qui est enfermée dans un couloir et  s’isole se coupe de la vie qui, elle, coule comme une rivière. Son travail est porté par un désir de redonner accès à cette eau vive. L'agresseur, par son geste, peut aussi s'être mis hors circuit. L’approche de la justice réparatrice tente de défaire ces nœuds. La justice réparatrice ne veut pas faire fi de la justice des hommes, mais elle désire aller au-delà. Le travail du CSJR me semble être un désir de libération : débloquer pour aller à nouveau de l'avant. La justice seule punit, mais ne répare rien.  Elle répond à un désir de vengeance qui ne doit pas être balayé sous le tapis. Mais pour se reconnecter à la vie, il nous faut dépasser la loi du talion qui cherche l’équilibre entre l’offense et la peine. Pour respirer de nouveau, l'on se doit de « réparer, de remettre les personnes debout ».

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Dans les années soixante, David Shantz, mennonite aumônier de prison, fait les premiers pas. Avec une clientèle de jeunes délinquants mineurs, il a l’idée de mettre en parallèle des victimes et des auteurs d’actes criminels. Estelle utilise une image pour décrire le travail de la justice réparatrice.  Elle compare la société à une toile d’araignée. « Quand il y a un trou, c’est l’ensemble de la toile qui est fragilisé ». Il faut donc intervenir, ensemble, pour travailler à sa restauration. C’est d’ailleurs le terme utilisé en France et en Belgique: la justice restauratrice.

Suivons le processus proposé par le CSJR. Pour fin de démonstration, disons que j’ai été victime d’une agression physique il y a trois ans, à la suite d'un vol. J’éprouve toujours une grande difficulté à m’en relever. Je m’isole, je repasse en boucle l’événement, je suis suivi par un thérapeute et je partage avec d’autres victimes dans un centre communautaire. On me parle du CSJR, du travail qui s'y fait. Après maintes hésitations, je téléphone et Estelle me répond. À la suite d'une conversation, nous prenons rendez-vous. Comme me dit Estelle, tout se fait toujours à petite échelle, par des rencontres individuelles. On entend beaucoup parler de choc post-traumatique; le déséquilibre ressenti par la victime en est proche.

 

Afin de m’aider à retrouver un espace de confiance et de sécurité, où je puisse prendre la parole, nommer mes peurs, ma colère, Estelle me propose une rencontre. « Pas une rencontre directe entre agressé et agresseur », m’explique-t-elle, mais une rencontre  avec un agresseur qui aurait commis un geste semblable et qui est prêt à entamer une telle démarche. Parce que, explique Mme Drouvin, c’est toute la société qui est concernée, trois partis sont toujours présents à ces rencontres : l’agressé(e) (la victime), l’agresseur et des membres de la communauté.

Il est important de noter que tout le processus, que l’on soit victime, agresseur ou membre de la communauté, se fait dans la gratuité et sur une base volontaire. Mme Drouvin fait remarquer qu’un prévenu qui s’engage sur une telle voie n’en aura aucune trace sur son dossier et cette démarche ne pourra être utilisée pour une demande de réduction de peine. Un article est paru dans la revue Thyma intitulé « Les bienfaits de la justice restauratrice ». Après avoir revu ce qui s’est fait dans les vingt dernières années, tant en Amérique, qu'en Europe, en Afrique et ailleurs, elle accorde une note positive à cette approche parallèle pour réinsérer, remettre debout, les acteurs et les victimes des violences qui grugent notre désir de vivre ensemble. Sur ces bienfaits de la justice réparatrice notés par la revue Thyma, Estelle ajoute ; « nous rencontrons un haut taux de réussite dans nos démarches, mais il faut dire que nous travaillons avec la crème de la crème des détenus. Ceux qui font la demande de s’aventurer dans une telle démarche ont déjà fait un long bout de chemin ».

On peut se demander quel est l’objectif ultime de la démarche du CSJR. « Ce n’est pas le pardon qui est tant l’objectif », intervient Madame Drouvin, ayant entendu à maintes reprises cette question, « mais la création d’un espace de confiance où les gens puissent se parler ». L’importance de prendre la parole, de nommer les choses demande beaucoup de courage pour les victimes. Ces rencontres sont difficiles. Il y a un rapport de force qui s’est installé et qu’il faut briser. La prise de parole redonne ce pouvoir. Dans le livre de la Genèse, Dieu crée en nommant, en prenant la parole. Des profondeurs, surgit une vague plus forte qui met en mouvement.

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Estelle parle de reconnecter la mémoire individuelle à la mémoire collective. C’était le but recherché dans la Commission Vérité et réconciliation pan canadienne rattachée au drame des pensionnats autochtones, à laquelle le CSJR a participé. En octobre dernier, le Centre, en association avec d’autres organismes, a donné un atelier de « Guérison des mémoires ». Comme on peut lire dans un article que l’on peut consulter sur le site web de CSJR, le projet de Guérison des mémoires visait à offrir un processus de guérison à une vingtaine de personnes « ayant vécu un traumatisme, qu’elles aient subi des actes de violence ou en aient été témoins, notamment au sein des groupes autochtones, de réfugiés et d’anciens combattants. » L’atelier s’est fait en étroite collaboration avec l’Institut de guérison des mémoires, fondé en 1998, en Afrique du Sud, par Michael Lapsley, prêtre anglican. Monsieur Lapsley était lui-même présent. Sa présence a honoré le Csjr. Estelle me rappelle qu’il a travaillé avec l’Archevêque Desmond Tutu à la Commission Vérité et Réconciliation, pour répondre aux besoins pressant de restaurer la communauté à la suite des brisures qu’ont entraînées des décennies d’apartheid.

Ce travail accompli par le CSJR, qui emprunte un chemin parallèle à ceux fréquentés par Michael Lapsley en Afrique du Sud, dans une amplitude qui n’est pas la même, il va s’en dire, a de forts échos dans l’héritage chrétien. Cet automne, j’ai suivi une formation donnée par Jean-Claude Guillebaud à l’Institut de pastorale des dominicains. Le cours s’intitulait Pourquoi tant de violence. Monsieur Guillebaud nous a parlé de l’anthropologue René Girard. Pour l’anthropologue, toutes les sociétés sont habitées par une violence qu’il s’agit de contenir et d’apprivoiser. Le sacré cherche à canaliser cette violence. Le sacrifice ou la nomination d’un bouc émissaire permet de mettre la fin à la crise qui risque, par le mimétisme, de s’enflammer en menaçant la survie de la communauté. Le christianisme propose une sortie de cet engrenage. Il nous faut mettre un terme à nos réponses mimétiques comme le dicte la loi du talion: tu tues un membre de ma famille, j’en tue un de la tienne. Une fois la roue mise en marche, elle s’alimente par elle-même. Il faut arrêter d'amener  de l’eau au moulin. C’est ce suggère Jésus en disant « si l’on te frappe sur une joue, présente l’autre joue »…

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N’étais-ce pas ce qu’il propose de faire avec Zachée ? Le texte de Luc nous dit que Zachée occupe un poste bien en vu, si on parle de poids économique et politique dans une région sous occupation romaine : il est chef des percepteurs d’impôt. Dans les évangiles, on leur donne le nom de publicain. Ils sont perçus comme des collaborateurs avec l’occupant romain. Ils collectent les lourds impôts décrétés par les occupants. Avec sa communauté, les liens sont coupés : il le ressent dans le regard culpabilisant des autres qu’il croise au marché, à la synagogue, au bain publique. Il souffre de son enfermement. Zachée a certainement entendu parler de Jésus. Le texte de l’évangéliste l’exprime bien : il court pour être en avance sur la foule et monte sur  un arbre. Jésus s’arrête, regarde Zachée juché dans l’arbre et l’appelle par son nom.  Devant la foule présente,  il se fait près de lui. Par ces gestes de proximité, Jésus crée un espace de sécurité pour Zachée.  Il est restauré dans la communauté comme être social.  Il quitte « l’errance » pour reprendre sa place parmi les humains. En évaluant ce retournement provoqué par le regard d’autrui, Lytta Basset, dans son livre cité plus haut, écrit :« Quand nous posons sur une personne ce regard de compassion qui la restaure dans son être, nous incarnons Son Regard, souvent sans le savoir, nous la voyons telle qu’Il l’a créée : un être structuré par l’ouverture à autrui, un être fait à sa ressemblance, c’est à dire de la même étoffe compassionnelle que lui. Tel était le regard de Jésus sur ses contemporain » (p.137). 
   
J’ai tenu à faire part des résonances qu’ont eu en moi les propos d’Estelle Drouvin. L’approche de la justice soutenue par le CSJR nous fait découvrir les cassures que provoque la violence dans la vie communautaire et propose des outils pour intervenir et tisser ensemble des  mailles à notre toile, pour emprunter une expression de Mme Drouvin. Cette action est porteuse d’espérance  dans notre monde atomisé.

Une vidéo, produite par l’office de catéchèse du Québec, est disponible sur le Centre de la justice réparatrice.

Voir l’article sur les bienfaits de la justice réparatrice : www.thyma.fr/les-bienfaits-de-la-justice-restaurative/

vol. 121, no 4 • 15 décembre 2016

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