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NOS MURS INTÉRIEURS

LES MURS QUE L'ON CONSTRUIT

Ce court essai élabore une interprétation autour des murs intérieurs à notre conscience. À travers une pensée psychologique et en utilisant quelques passages tirés de l’épître aux Romains de l’apôtre Paul (7, 7-25 ; 8, 1-17), il explore comment réduire ces isolements, construire des ponts et harmoniser notre pensée, qui est par nature multiple et éparpillée.
Heureusement être à l’écoute ne veut pas dire céder, à toutes nos pensées et à nos émotions, mais plutôt en prendre soin et les intégrer à notre expérience à l’aide de notre conscience.

Être conscient d’être soi-même – existe-t-il une expérience plus évidente que celle-là ? En tant qu’être humain en santé, nous avons naturellement cette conscience d’exister et d’avoir une identité propre. Nous en faisons quotidiennement l’expérience à travers nos pensées, nos actions, en nous considérant de manière unitaire – c’est à dire à nous penser comme un je. Ceci se traduit également par la sensation que nous avons en permanence d’être un tout unique et rassemblé. Il ne nous vient d’ailleurs généralement pas à l’idée que nous puissions être faits de petits morceaux différents tous collés ensemble - que cela soit pour notre corps ou bien en notre esprit. La cohésion de notre moi est tellement forte et perçue si nécessaire que toute atteinte à sa continuité nous fait immédiatement craindre la folie. Pourtant quelques indices laissent à penser que cette intuition naturelle à d’être unique et unitaire n’est pas toujours aussi juste et pertinente que nous voudrions le croire.

Pour l’illustrer, pensons à ce que nous pouvons ressentir dans des moments de surprise ou d’indécision. Nous expérimentons des émotions et des pensées contradictoires - certaines nous sont tellement étrangères que nous sommes parfois étonnés d’en être à la source. Quand nous le réalisons, nous sommes plongés dans des moments de grande confusion. Et lorsque ces pensées se traduisent en actions néfastes et regrettables, nous sommes écartelés et divisés, séparés d’avec nous-même. Peut-être est-ce ce dilemme intérieur que l’apôtre Paul voyait comme une contradiction, en notant : « je ne fais pas le bien que je veux et commets le mal que je ne veux pas » (Ro 7, 19). Ainsi, croire que nous devrions penser et agir toujours de manière unifiée, conforme à ce que nous voudrions de nous-même, est souvent source de détresse ou de remise en question. Au contraire, le morcellement de notre conscience et de notre identité est un phénomène bien souvent inévitable - voire tout à fait normal. Nous possédons une capacité exceptionnelle à réagir au monde qui nous entoure à travers une multitude d’émotions et de pensées disparates et ainsi à prendre conscience des différentes possibilités d’action qui s’offrent à nous. Lorsque nous écoutons sereinement et attentivement ces différentes « voix », nous sommes capables de choisir parmi elles, celle qui nous indique le meilleur chemin. Mais lorsque nous sommes effrayés, en manque d’amour, de confiance ou de sécurité, nous cédons facilement à la voix la plus forte ou la plus séduisante - sans doute ce que Paul appelait le « péché ».

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Succomber à ces voix égoïstes est souvent funeste, mais les ignorer en se fermant à leur écoute, à la conscience de leur présence, peut être pire encore. Vouloir croire que nous ne sommes pas multiples dans notre cœur entraîne des refoulements délétères. C’est ainsi que nous construisons des murs intérieurs qui nous font souffrir et du même coup font souffrir les autres. Cette séparation intime - littéralement diabolique - empêche et contrecarre la fluidité de notre expérience, elle ralentit la dynamique de nos mouvements de pensée. Elle nous empêche d’entrer en contact avec les autres et avec nous même - alors qu’au contraire, nous pourrions chercher à unifier et recoller ces différents morceaux de notre moi. Ne pas être à l’écoute de nos besoins, de nos souffrances ou de nos manques d’amour, ne conduit que vers la peur, la désolation et la maladie. Les suivre aveuglément n’est pas beaucoup mieux. Devant cette ambiguïté, notre condition humaine peut sembler  bien infortunée : « Qui me délivrera de ce corps qui me voue à la mort ? » (Ro 7, 24)

Heureusement être à l’écoute ne veut pas dire céder, à toutes nos pensées et à nos émotions, mais plutôt en prendre soin et les intégrer à notre expérience à l’aide de notre conscience. Cette conscience – que l’on peut tout aussi bien appeler âme, psyché ou logos – est avant tout le fruit de la présence de l’Esprit. Car comme nous l’a dit Jésus : « c’est l’Esprit qui vivifie » (Jean 6, 63). Il y a là véritablement un mystère de la conscience qui nous ouvre à nous même tout en créant une distance fructueuse – à l’image de notre relation au Christ. Quand nous la cultivons, elle nous donne cette possibilité de faire des choix parmi toutes les pensées qui se bousculent dans notre tête. À travers la conscience, l’Esprit nous permet d’encourager la vie en nous et autour de nous. Il nous donne d’abattre nos murs intérieurs et de trouver l’harmonie entre toutes les parties parfois discordantes qui composent notre moi. Cela nous amène alors à une transformation essentielle, une plénitude fugace qui s’apparente à une vraie résurrection. Car « si l’Esprit de Celui qui a ressuscité Jésus d’entre les morts habite en vous, Celui qui a ressuscité le Christ Jésus d’entre les morts donnera aussi la vie à vos corps mortels par son Esprit qui habite en vous » (Ro 8, 11).

vol. 122, no 1 • 15 mars 2017

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