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LA DÉMOCRATIE OU L’APPARITION
DES SANS-POUVOIR

NOTE : L’auteur, écrivain, a publié chez Nota Bene Le désert et l’oasis. Essais de résistance (2016) et La nuit et l’aube. Résistances spirituelles à la destruction du monde (2024).

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La démocratie rappelle, en ce sens, que l’existence humaine est elle-même mouvement et questionnement sur la condition humaine, et qu’elle a non seulement à se préoccuper de soi et des proches, mais aussi à s’accomplir dans le souci et service du bien commun.

« Mal nommer les choses, c'est contribuer au malheur du monde ». L’inverse de cette parole célèbre de Camus est aussi vrai: bien nommer les choses contribue au bonheur du monde. Ces mots pourraient être affichés sur les murs de nos cités comme un véritable appel à la subversion, comme une vérité qui libère. Ce qui s’impose le plus souvent, en effet, comme « vérité » dans les réseaux sociaux, qui dominent l’espace public médiatique actuel, ne s’encombre pas d’arguments ni d’expériences vécues. Ce sont de simples opinions, qui acquièrent leur pouvoir de conviction du fait de surfer sur une multitude d’autres, grâce à l’appareillage et au dispositif technique et algorithmique qui sont entre les mains des maîtres et possesseurs du Web : des transnationales immensément puissantes et richissimes. Ce faisant, ces pouvoirs de l’ombre sont en mesure de formater la pensée, d’induire des comportements, de fabriquer un imaginaire, en commençant par celui des enfants, et de confisquer le discours public à des fins mercantiles et idéologiques.

UN MOT SUBVERSIF : DÉMOCRATIE

Il est un mot presque banal qu’il est pressant, en ce sens, de revisiter, tant sa signification profonde, masquée par son usage courant, pourrait aider à résister à cet air du temps qui nous enlise dans l’impuissance et le cynisme. C’est le mot démocratie. Il est compris le plus souvent comme se référant au régime politique fondé sur l’État de droit, la liberté d’expression et l’organisation régulière d’élections libres par lesquelles la population choisit des représentants et un gouvernement qui auront pour tâche de voir pour un temps à l’organisation de la société, au financement des institutions publiques, au bon fonctionnement du commerce et des relations internationales, à la défense du bien commun et au bien-être de la société dans son ensemble. Régime qui s’oppose au pouvoir d’un seul ou d’un groupe qui se l’arrogerait et s’y maintiendrait par la force. Or, mieux vaudrait plutôt, comme l’a proposé le philosophe français Cornelius Castoriadis, appeler ce régime dit démocratique, distinct de la dictature, oligarchie libérale. Cette appellation aurait le mérite de rappeler qu’il est avant tout au service d’une élite (« oligos » en grec) économique, et non du peuple (« demos ») – le qualificatif « libérale » évoquant le cadre dans lequel le pouvoir s’exerce : l’État de droit, la séparation des pouvoirs (exécutif, législatif, judiciaire), le rituel électoral. Ce n’est que de manière dérivée et secondaire que le peuple peut en profiter, selon la conception économique du « ruissellement du haut vers le bas » et les mots devenus emblématiques de la conception politique qui en est tributaire, prononcés par le PDG de General Motor en 1953 : « Ce qui qui est bon pour GM est bon pour le pays. »

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SE RÉAPPROPRIER LE MOT

Se réapproprier le mot démocratie permet de reconnaître la conflictualité inhérente à la vie sociale, divisée entre ceux qui possèdent le pouvoir et ceux qui en sont privés, et de jeter ainsi un regard critique sur la gouvernance « oligarchique » dite démocratique actuelle, par laquelle une élite gouverne selon ses intérêts en s’assurant le maintien de l’ordre établi. Cette perspective oriente vers un agir politique citoyen et une prise de parole à partir de la base, par lesquels le « peuple » cesse d’être invisibilisé et fait entendre sa voix. La figure du « citoyen » n’est plus rabattue à celle, passive, de consommateur et de client, en opposition tranchée avec les gouvernants, mais posée d’emblée comme co-responsable du vivre-ensemble.

 

La démocratie ainsi mise en scène et en sens se présente moins comme un état, statique, qu’en mouvement, mouvement à travers lequel des êtres émergent de la masse anonymes des usagers et consommateurs, passifs et dociles, dans laquelle l’ordre social le plus souvent les confine, pour advenir comme citoyens, acteurs engagés dans la vie sociale et politique. Elle rappelle, en ce sens, que l’existence humaine est elle-même mouvement et questionnement sur la condition humaine, et qu’elle a non seulement à se préoccuper de soi et des proches, mais aussi à s’accomplir dans le souci et service du bien commun. Le philosophe tchèque Jan Patocka parle d’une vie dans et pour la liberté, une vie qui met précisément en œuvre cette valeur humaine fondamentale, qui implique une responsabilité à l’égard du monde commun, celle de le défendre contre les forces dissolvantes de l’égoïsme, de la domination et de la convoitise, qui prennent la forme notamment du pouvoir asservissant et aliénant de l’Argent, cette idole qui trône au sommet du panthéon des divinités contemporaines. 

LE SOUFFLE DÉMOCRATIQUE DE L’ÉVANGILE

On comprend que le souffle de l’Évangile de Jésus, qui n’a de cesse de redonner vie aux corps méprisés, invisibilisés et déniés de dignité, a tout à voir avec cette conception de la démocratie. Pensons au pouvoir défini comme service, pouvoir de plutôt que pouvoir sur (Lc 22,25-26); aux institutions, même les plus sacrées, posées comme étant faites pour l’humain et non l’être humain pour elles (Mc 2,27); au critère de l’action humaine, fondée sur la liberté et sur ce qui est bon et juste pour l’être humain, et non sur la soumission aux normes instituées (Mc 3,1-6). Pensons aussi au pouvoir de l’Argent sévèrement pointé du doigt dans l’Évangile en tant qu’idole néfaste, poussant à sacrifier des multitudes au nom de son culte sans âme (Mt 6,24).

 

Tant les paroles que les pratiques de Jésus (guérisons, exorcismes, fréquentations des pécheurs) témoignent de la dignité des invisibilisés et des dépréciés de la société ordonnée autour d’une élite au pouvoir, comme en fait foi les béatitudes (Mt 5,3-12); dignité qui, pour être, en conséquence, reconnue et respectée en tant que telle, appelle à une transformation radicale, prophétique des structures qui la voile, quitte à être invisibilisé, méprisé, réprimé pour cela. Ainsi, en valorisant les déconsidérés du pouvoir plutôt que les élites au pouvoir, la liberté plutôt que la soumission, le respect de la dignité plutôt que celui des normes, la parole partagée et la solidarité avec les laissés-pour-compte plutôt que la force et la convoitise d’une élite, l’Évangile pointe résolument vers l’agir démocratique, qui émane des sans-pouvoir.  Il en a été, et continue de l’être, une source vivifiante d’inspiration. Que les premiers chrétiens aient choisi de définir leur communauté par le mot grec ekklesia – nom qui désignait, à cette époque, l’assemblée citoyenne et délibérative au sein de la démocratie athénienne –, n’y est évidemment pas étranger. La synodalité de l’Église promue par François et Léon XIV est bien en ce sens un retour à l’Évangile.

vol. 130, no 2 • Juin 2025

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