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APPRENDRE À VIVRE ENSEMBLE 

APPRENDRE À VIVRE ENSEMBLE : FAILLES, DÉFIS ET ATTENTES

Réjeanne Martin nous décrit les défis à relever pour réussir à vivre ensemble. Les apprentissages sont grands et multiples et nécessiteront du temps, d'autant plus que nous voulons intégrer les diverses cultures dans une société commune et non les juxtaposer.
« Pour vivre ensemble il faut savoir aimer 
Et ne rien prendre que l'on ait donné…
Pour vivre ensemble il faut ouvrir son cœur…
Je te regarde et [tu me regardes] et tout s'éclaire 
L'ombre se change en lumière. »
Frida Boccara

Que voilà bien le commencement et le point d’arrivée de notre aventure commune sur cette terre où que nous vivions. Que voilà bien aussi les mille et une embûches sur lesquelles trébuchent et les pays d’accueil et les personnes ou groupes qui décident de chercher le bonheur de vivre en d’autres contrées. Encore faut-il que les uns et les autres aient bien identifié d’où surgiront les difficultés de savoir aimer et ne rien prendre que l’on ait donné. Ce vocabulaire est bien connu pour tout ce qui concerne la vie en couple, en famille, dans diverses communautés ou associations pour y maintenir un dialogue transparent en vue de développer des consensus. De cette dimension de l’immigration, nulle loi, politique ou règlement ne semble s’en être préoccupé. La seule promesse : le rêve d’un pays où il fera bon vivre. Ce rêve n’obstrue-t-il pas cette condition première d’aimer et d’être aimé pour que l’ombre se change en lumière. En somme, voilà ce qu’on ne dit pas aux immigrants, cette exigence qu’implique « Vivre ensemble », notamment au Québec, province notoirement distincte du reste du Canada.

INVITATION AU MULTICULTURALISME

Ne fait-on pas miroiter aux immigrants qu’ils seraient accueillis partout au Canada avec l’assurance de conserver intacts les us et coutumes de leurs origines, garantissant l’intégralité de leur héritage culturel, en même temps que l’égalité en tous droits dont jouissent déjà les Canadiens, ne soulignant pas suffisamment les tensions sociales inévitables si la tendance, c’est de vivre ensemble comme dans le pays que l’on vient de quitter. Une promesse d’un mieux vivre qui masque par manque de réalisme l’interdépendance des cultures qui se trouvent en contact.

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Dès lors, tentation alléchante de se réfugier dans la proximité de ses frères et sœurs d’origine, formant ensemble une communauté ethnique le plus possible monolithique tant du point de vue social, économique même, et sans contredit du point de vue religieux.

LE CHOIX DE L’INTERCULTURALISME

Depuis plusieurs décennies, le Québec a choisi d’expérimenter le Vivre ensemble sous le mode de l’interculturalisme. Une voie insuffisamment connue dans les documents de promotion de l’immigration qui, elle, est sous juridiction prioritaire du gouvernement canadien. Voilà une source de malentendus qui ne favorise pas l’intégration des groupes minoritaires à la société québécoise essentiellement francophone et porteuse d’une histoire de luttes pour son identité.

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Faut-il reconnaître là des obstacles à une dynamique de convergence qui devrait permettre de s'associer au projet collectif de langue commune et de dialogue transparent interculturel indispensable pour vivre correctement la diversité en une même appartenance ?

DES GESTES POUR APPRENDRE A VIVRE ENSEMBLE

D’abord et avant tout, accepter d’une part d’accueillir diverses cultures comme un enrichissement, et d’autre part être ouvert à la culture d’accueil librement et de bon cœur. Décider également d’y participer pour le meilleur et pour le moins pire tout en sachant, comme le chante notre poète national, Gilles Vigneault, qu’il est difficile d’aimer.

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L’apprentissage du nouveau pays, de ses us et coutumes, des possibilités de s’y épanouir, des moyens et des conditions pour avoir accès aux emplois disponibles est une responsabilité tout autant individuelle que collective. Le meilleur ne consiste-t-il à revendiquer ensemble les valeurs fondamentales inscrites dans les chartes qui protègent toutes les personnes qui désirent vivre ensemble, évitant ainsi de vivre sur la défensive de ses intérêts individuels sans tenir compte de l’évolution normale de la société d’accueil. Cette démarche ensemble est la seule garantie, me semble-t-il, plus forte que les interdits tous azimuts, d’un mieux vivre ensemble. Il faut y mettre le temps requis par l’apprentissage et la bonne volonté. Devenir des personnes capables d'apprécier les diverses cultures qui se côtoient dans une société pluriculturelle, et donc accepter d'évoluer au contact de ces cultures pour que cette diversité devienne un élément positif, enrichissant la vie culturelle sociale, économique et politique du milieu.

DES DEFIS A RELEVER ENSEMBLE

La laïcité comme cadre d'aménagement du vivre ensemble effraie un grand nombre d’anciens et de nouveaux citoyens et citoyennes. Certains groupes québécois d’origine regrettent l’époque où religion et vie civile chevauchaient allègrement l’une presque fondue dans l’autre. Certains autres groupes venus s’établir au Québec ont vécu dans des sociétés théocratiques où dimensions civile et religieuse sont fusionnées. Comment donc cheminer et développer un modus vivendi consensuel respectueux de l’évolution de la société d’accueil différente de certaines habitudes de vie des pays d’origine ?

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L'éducation à la citoyenneté démocratique, c’est un cheminement jamais achevé pour personne tant pour les Québécois et Québécoises que pour toutes autres personnes qui viennent d’un ailleurs moins connu ou carrément inconnu. Prendre le temps de comprendre, de se comprendre, une démarche qui exige beaucoup de compassion autrement que par un regard mutuel aussi étrange que cet étranger d’ici et d’ailleurs.

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Le respect des droits individuels ne risque-t-il pas trop souvent de masquer, même de nier les responsabilités envers les droits collectifs, qui eux garantissent le bien commun ? Ce respect absolu des individus ou des groupes d’appartenance ne risque-t-il de saboter des relations mutuelles plus justes et plus humaines. Que voilà une exigence universelle et fondamentale de se reconnaître comme des êtres égaux dans une humanité respectueuse les uns des autres.

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De là, s’impose à toute personne ou groupe la responsabilité de participer à la vie sociale, économique et politique en se portant au-delà des enjeux strictement individuels. Un rôle indispensable, mais qui expose à la fois à une saine critique et à sa propre autocritique.

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Aussi est-ce le devoir urgent des différents niveaux de gouvernance démocratique d’encourager la mise en place de formes durables de dialogue au sein d'institutions communes de proximité, de sorte que se développe le goût de vivre au milieu les uns des autres. Favoriser dès lors des relations de voisinage, plutôt que de laisser se former des regroupements repliés sur eux-mêmes. Quelle chance si ces initiatives surgissent de la base !

INACCESSIBLE ETOILE !

Fondamentalement à qui donc revient la responsabilité de promouvoir des relations égalitaires dans des espaces où vivre ensemble se nourrit du pain de la fraternité plutôt que du pain de la loi ? Si les uns et les autres attendent le mot de la fin des rivalités et fermetures des gouvernements, nous continuerons de part et d’autre de nous regarder en chiens de faïence.

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Empruntant à la chronique de Lise Payette, dans Le Devoir du 20 février dernier, reconnaissons qu’il ne suffit plus de refiler le bébé à l’une ou l’autre commission d’enquête ou encore à un autre éventuel combat de coqs sur la laïcité. Il serait pourtant extrêmement important qu’on essaie tous de comprendre ce qui va se passer dans les mois qui viennent, car il en va de la survie non pas du crucifix de l’Assemblée nationale, ni des cours de religion à l’école, […] mais bien plutôt du choix d’une façon de vivre ensemble qui nous garantisse un espace du sacré qui sera distinct de celui des autres activités sociales. Il devient, en effet, de plus en plus urgent de relativiser les absolus de nos exigences et comportements mutuels dans un pays que nous voulons rendre plus humain et plus juste pour vivre ensemble le meilleur et le moins pire de nos conditions de vie.

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En attendant, point de relâche pour entendre et écouter Yvon Deschamps chanter à sa manière en transcendant les aspects politiques : Aimons-nous les uns les autres. Aimons-nous jour après jour […] pour briser nos chaînes, canons et tambours… Dans ce même esprit, ajoutons avec espérance : Aimons-nous assez de part et d’autre pour ranger pancartes et cris à l’encontre de l’Autre et tissons ensemble les maillons d’une nouvelle échelle dans nos rapports humains, condition essentielle pour faire advenir un monde plus juste et plus humain.

vol. 120, no 3 • 15 juin 2015

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