top of page

CONSTRUIRE LE MONDE

L'ENGAGEMENT ÉVANGÉLIQUE

Comment construire une Église si l’ouvrier que je suis ne s’engage pas? Le modèle du samaritain nous parle. Cet homme vrai s’indigne devant la souffrance; il ne se la cache pas; il se laisse toucher et sait agir pour guérir et rendre à la vie. 

©photo : Josée Richard

L’engagement évangélique est la posture existentielle spécifique d’une personne qui, se trouvant devant une situation déshumanisante, décide de la regarder bien en face, se laisse saisir par la pitié et pose aussitôt une action libératrice.
UN SAMARITAIN ENGAGÉ

« Qu’est-ce que l’engagement? » À cette question l’Évangile répond en racontant la parabole du bon samaritain. Cette parabole se présente comme le paradigme, mieux l’archétype de l’engagement évangélique. Un homme attaqué par des bandits est laissé pour mort dans le fossé. Deux membres du clergé, un prêtre et un lévite, viennent à passer par là. Ils aperçoivent le mourant, feignent de ne pas le voir, détournent la tête et s’éloignent en toute hâte. Du haut de sa monture, un étranger l’aperçoit de loin, s’arrête et pose son regard sur l’agonisant. Il est alors saisi de pitié : il s’approche, se penche sur le blessé, panse ses plaies. Et l’ayant chargé sur sa monture, il l’amène à l’auberge en priant l’aubergiste de s’occuper du malade jusqu’à son prochain passage - et cela moyennant rémunération.

SE LAISSER TOUCHER

Cette parabole contient les quatre éléments constitutifs de l’engagement évangélique : se trouver devant une situation déshumanisante, porter un regard attentif, être saisi de pitié et finalement passer à l’action.

 

  • Une situation aliénanteL’engagement n’est pas le résultat d’une étude théorique ni le fruit d’une analyse qui soupèse les tenants et aboutissants d’un problème. L’engagement est au départ une réponse immédiate à une situation concrète mortifère à laquelle une personne se trouve confrontée existentiellement. Situation qu’elle n’a ni souhaitée, ni voulue, ni provoquée, mais qui survient comme ça à l’improviste au cœur de la quotidienneté et qui est de nature à porter atteinte à l’humanité d’autrui.

  • Un regard attentif
    Mille raisons peuvent être invoquées pour justifier son indifférence devant le malheur d’autrui. Nos routes sont jonchées de maganés de l’existence, mais nous refusons de les regarder en face. Tant de choses mobilisent notre attention. Le travail, les obligations familiales, les principes, la hâte, la peur, l’égoïsme sont autant de raisons qui peuvent être invoquées pour détourner le visage, prendre ses distances, hâter le pas. L’engagement suppose qu’on prenne le temps de s’arrêter pour voir ce qui se passe, pour regarder bien en face la situation de détresse à laquelle on est confronté.

    Regarder c’est porter attention. Un homme a besoin de tout son pouvoir d’attention pour être capable de regarder cette chair inerte au fond du ravin, c’est-à-dire pour regarder l’humanité défigurée dans toute situation aliénante. « L’attention créative, écrit Simone Weil, consiste à faire réellement attention à ce qui n’existe pas. L’humanité n’existe pas dans la chair anonyme inerte au bord de la route. Le Samaritain qui s’arrête et regarde fait pourtant attention à cette humanité absente, et les actes qui suivent témoignent qu’il s’agit d’une attention réelle ». (Simone Weil, Œuvre, p.726)

    Regarder c’est porter attention non seulement à l’humanité absente dans toute situation déshumanisante; c’est aussi s’arrêter aux causes psychiques, sociales et environnementales génératrices d’injustices et de malheurs de toutes sortes. Et elles sont nombreuses les structures qui peuvent porter atteinte à la dignité et à l’intégrité de la personne humaine.
     

  • La pitié
    On peut en rester à un regard objectif et neutre, à un discernement judicieux ou encore à une analyse des causes d’une situation déshumanisante. L’engagement suppose que l’on passe du niveau intellectuel à celui du cœur et qu’on se laisse émouvoir et saisir de pitié, comme Jésus devant la foule écrasée et affamée (Mc 8,22; Mt 9,36), devant le lépreux (Mc 1,40; Lc 17,13) ou devant la veuve de Naïm (Lc 7,13) Le Samaritain aussi est saisi de pitié (Lc 10,33). La pitié est un ébranlement émotif qui met en œuvre toutes les ressources psychiques et physiques d’un être humain qui s’en trouve totalement mobilisé. La pitié est tout le contraire d’un sentiment pleurnichard et condescendant qui se limiterait à verser une larme devant la misère d’autrui. La pitié évangélique est une émotion profonde qui déclenche un processus d’une efficacité extraordinaire.
     

  • L’action
    Mu par la pitié, l’engagement commande l’action; action qui peut varier selon les possibilités concrètes des individus. Elle peut même à la rigueur se limiter à peu de choses, voire à un simple geste. Pour qu’il y ait engagement, il faut que la personne s’implique toute entière, cœur et raison, dans son action, que celle-ci soit secrète ou publique, contestatrice ou provocatrice, qu’elle vise des structures maganantes ou des personnes blessées.

    En un mot, l’engagement évangélique est la posture existentielle spécifique d’une personne qui, se trouvant devant une situation déshumanisante, décide de la regarder bien en face, se laisse saisir par la pitié et pose aussitôt une action libératrice. Il est évident que l’engagement peut prendre mille et une formes : lutte pour les droits humains, combat pour la justice, défense de l’environnement, aumône, service d’un malade, partage de son temps, agir solidaire, parole dénonciatrice… En envoyant ses disciples en mission Jésus leur commande certes de proclamer l’évangile mais aussi de chasser les démons, de guérir les malades et de ressusciter les morts… c’est-à-dire de lutter contre tous germes de mort et toutes formes d’aliénation humaine.

CONCLUSION

Comment ne pas rappeler cette réflexion du frère du Seigneur, St-Jacques : « à quoi bon dire qu’on a de la foi, si l’on n’a pas d’œuvres? » (Jc 2,14). « En effet, de même que, sans souffle, le corps est mort, de même aussi, sans œuvres, la foi est morte » (Jc 2,26).

vol. 119, no 1 • 15 janvier 2014

bottom of page