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CONSTRUIRE LE MONDE

DROIT DE CITÉ

Devenir citoyen, acquérir un droit de cite, passent par un long chemin où la personne se bâtit par la confiance. L’engagement auquel cela mène et l’impact sur la construction de la communauté, de la cité, sont incalculables. Ce « devenir citoyen » s’apparente et se nourrit du «devenir chrétien». Pierre Prudhomme nous en parle avec clarté et passion.
Lève-toi et marche ! 
Et voilà qu’un monde nouveau se lève… au quotidien.

Depuis ses origines, l’humanité a toujours connu en son sein des personnes qui se préoccupaient des personnes appauvries à cause du caractère exclusif et de négation de dignité que comporte la pauvreté. Aujourd’hui, la lutte à la pauvreté appelle à la reconnaissance des droits et d’une pleine citoyenneté. Qu’entend-on par là?

 

Avoir droit de cité, pour le Petit Robert, c’est avoir un titre à y être admis, à y figurer. On y trouve une notion d’inclusion, d’appartenance, avec des devoirs et des privilèges. Or au-delà de la rime, engagement chrétien et engagement citoyen ont-ils quelque chose à voir entre eux ? D’abord, allons à la rencontre d’un certain Jésus de Nazareth.

EXPÉRIENCES D'INCLUSION

À l’époque du temps de Jésus, les personnes vivant avec un handicap étaient ostracisées puisqu’on pensait que leur état était dû à leurs péchés et à ceux de leur famille. Or en Luc 5, 23, Jésus ne craint pas d’heurter de plein fouet les Maîtres de la loi et les Pharisiens en disant au paralytique qui vient d’arriver par le toit : Tes péchés te sont pardonnés. Pour eux, seul Dieu peut pardonner les péchés. Il fallait déconstruire ce prêt-à-penser, ce préjugé qui maintient les personnes dans une sous-classe, dans une sous-humanité.

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Or quand Jésus rajoute : Lève-toi, prends ta paillasse et rentre chez toi, où est le miracle, cette transformation qui ouvre à la vie ? Dans le simple fait d’être libéré de son handicap, ou dans le fait de se relever fièrement aux yeux de tous, en chantant la gloire de Dieu, avec le sentiment de retrouver son autonomie et sa dignité d’être pleinement reconnu comme humain à part entière ?

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Quand l’aveugle Bartimée, mendiant sur le bord du chemin (Mc 10, 46), s’époumonne pour attirer l’attention de Jésus, il se voit confronté à l’antipathie des disciples qui le sermonnent pour le faire taire. Jésus l’entend, arrête sa route et l’appelle. D’un bond, Bartimée est près de Jésus qui lui redonne la vue. Où est le miracle, ce changement en profondeur qui fait la joie de Bartimée ? Dans le fait de voir, ou dans le fait de pouvoir marcher à la suite de Jésus avec ceux-là même qui cherchaient à le faire taire et à le maintenir dans l’exclusion ? Luc rajoute qu’il marchait à la suite de Jésus en glorifiant Dieu. Le fait d’avoir retrouvé la vue n’aurait-il pas été d’une bien mince consolation si ce n’était que pour continuer à mendier sur le bord du chemin ?

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Qu’en est-il de Zachée (Lc 19, 2), ce chef des collecteurs d’impôts, ces personnes méprisées par les gens de cette époque et qui étaient traitées de pécheurs ? Jésus le voit dans l’arbre et s’invite chez lui. Lui, de petite taille, perçu comme un escroc pour le rôle qu’il joue, objet de méfiance, de soupçon, d’antipathie et de haine ! Zachée aussitôt s’empressa de descendre, et c’est avec une grande joie qu’il le reçut. Au point qu’avant que Jésus le quitte, Zachée s’exclama : Je vais donner aux pauvres la moitié de mes biens, Seigneur, et si j’ai extorqué quelque chose à quelqu’un, je vais rendre quatre fois plus. 

APPARTENANCE COLLECTIVE ET CITOYENNE

Je pourrais continuer à multiplier les exemples où Jésus intervient. Ceux-là suffiront. Ce qui est frappant dans tous ces événements présentés comme des miracles, c’est que Jésus fait éclater les barrières qui mettent un frein ou qui empêchent les relations. Il ouvre des brèches dans des systèmes de pensée, des attitudes et des comportements qui alimentent les préjugés et qui maintiennent les gens dans un statut qui leur nie leur identité profonde d’être relationnel. Par le fait même, il ouvre la possibilité d’appartenance à une communauté et à une participation citoyenne.

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L’action et les paroles de Jésus avaient toujours une portée inclusive et cherchaient en permanence à élargir le droit de cité. De par la qualité de son regard et de son écoute, de par sa disponibilité à arrêter sa route ou à se laisser interpeller, Jésus savait détecter les personnes marginalisées, celles qu’on maintenait en-dehors de la communauté et de la vie. De par son courage pour questionner les prêts-à-penser de son époque et pour confronter les puissants de son temps, Jésus libérait les gens des prisons intérieures où les enfermaient les préjugés qui leur avaient été inculquées et qui les dépossédaient d’une pleine participation au bien-être de la communauté.

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Derrière l’enthousiasme du paralytique, de Bartimée et de Zachée, on y décèle une réappropriation du pouvoir sur sa propre vie, marquée par une estime de soi renforcée qui libère la confiance nécessaire pour entrer en relation. On y découvre la joie qu’apporte le sentiment d’appartenance à un groupe, à une communauté, à un réseau. On y détecte l’élan vers les autres. De mendiant, de quêteur, de collecteur, on passe au statut de donneur, de participant, de personne solidaire. D’objet de la parole et de l’action des autres, on passe à sujet de sa propre parole et de ses propres initiatives. De l’isolement, on passe à l’appartenance communautaire et citoyenne.

APPROPRIATION D'UNE PRISE DE PAROLE INDIVIDUELLE ET COLLECTIVE

En ce sens, l’engagement chrétien ne peut faire autrement que de porter en son sein un engagement citoyen. Les gens qui, au nom de leur foi, mettent sur pied ou s’engagent dans les organismes communautaires, ces incubateurs de fierté, ne peuvent faire autrement que de constater une portée citoyenne à leur action.

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Voyez ces transformations miraculeuses :

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  • L’ex-prisonnier de 45 ans qui, nommé en charge des plongeurs au Chic Resto Pop, fait l’expérience pour la première fois, qu’on lui fait confiance ;
     

  • Ces personnes de la Pop Mobile qui servent les dîners dans six écoles élémentaires d’Hochelaga-Maisonneuve et qui se donnent de la formation sur la psychologie des enfants et sur l’estime de soi ;
     

  • Ces 25 personnes qui acceptent l’invitation de risquer le succès dans un projet-pilote de formation académique en français et en mathématiques, surmontant la peur de l’échec qu’elles avaient connue à l’école quand elles étaient petite ;
     

  • Cette chère Manon qui, invitée à quitter l’aide sociale pour prendre en charge la Pop Mobile, doute de ses capacités et craint vertigineusement de passer d’une gestion budgétaire personnelle mensuelle à une gestion hebdomadaire comme salariée ; cette même Manon qui, après quelques années à la direction de la Pop Mobile accepte une charge plus grande dans un plus gros organisme et qui s’inscrit à des cours de philosophie à l’Université ;

 

Ces gens qui pensent et planifient une marche et une prise de parole collective pour faire part de leurs revendications au bureau de leur députée.

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Après de telles expériences qui consolident la confiance en soi et qui permettent une prise de parole personnelle et collective, le mode de relation de ces personnes s’en trouve radicalement transformé au bénéfice de leurs enfants, de leur entourage, de leur quartier. 

DEVENIR CITOYEN

La fierté a quelque chose de particulier : elle ne peut rester figée. Parce qu’elle se répand de façon contagieuse, elle est fondamentalement collective. Alors, on se surprend d’entendre résonner le « Lève-toi et marche » de Jésus et de voir se lever, en plus du paralytique, une communauté, un quartier, une cité, un pays. La fierté a pavé la voie à l’espoir.

vol. 119, no 1 • 15 janvier 2014

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