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DÉRIVES ET PERSPECTIVES

IMPASSES ÉCONOMIQUES ET ALTERNATIVES

Après la fin de la seconde guerre mondiale, une ère nouvelle se dessine. La mise sur pied de l’ONU et la déclaration des droits de l’Homme en sont les porte-étendards. À l’ouest, les social-démocraties font école. Avec l’explosion du pouvoir du capital, voyant le jour dans les années soixante-dix, tout bascule. La société s’efface devant l’individu et « l’argent roi » écrit monsieur Béland. Avec le néolibéralisme s’installent la spéculation et l’endettement. Des entreprises privées rivalisent de pouvoir avec l’État. Monsieur Béland inscrit un plaidoyer pour ramener un équilibre entre les pouvoirs politique, économique et la société civile.
Jamais l'argent n'aura été aussi important pour les populations. L'argent est devenu roi. Il est désormais la mesure du succès. Alors que jadis son accumulation exagérée était qualifiée d'avarice – un péché – elle est désormais la démonstration d'une vie réussie !

À la suite de la deuxième grande guerre mondiale (1), en vue d'assurer une paix durable et définitive, les dirigeants de quelques pays décidèrent de créer l'Organisation des Nations Unies. Aujourd'hui, elle regroupe 193 états membres dont le dernier, le Soudan du sud, s'est joint en 2011. La mission de l'Organisation est inscrite dans une nouvelle Déclaration des droits de l'Homme. Ce document solennel engage les membres de l'Organisation à construire, chacun dans son milieu, un avenir meilleur pour tous les êtres humains en encourageant le respect des droits de l'Homme, soit la liberté (une liberté qui ne nuit pas à celle des autres), l'égalité des droits et des chances et la fraternité par la solidarité. Adoptée en 1948, on assistera ensuite à ce que les économistes ont appelé les « trente années glorieuses ». Elle fait naître aussi des régimes sociaux-démocrates. Aux États-Unis, par exemple, la classe moyenne devient la classe dominante, ce qui est le résultat normal d'une société social-démocrate (2). Au Québec, s'installe aussi une social-démocratie, héritière des valeurs chrétiennes d'amour du prochain, de partage, de respect des autres, ces valeurs qui ont assuré la survivance de la nationalité canadienne-française, malgré la Conquête par les Anglais en 1760.

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Puis vinrent les années 1970. L'évolution spectaculaire des technologies de communication rapproche les continents, les peuples et surtout les marchés. La perméabilité des frontières favorise l'enrichissement rapide des entrepreneurs les plus puissants par la force de leurs capitaux. Des économistes réputés concluent à la nécessaire mutation du régime démocratique en un nouveau libéralisme où le capital devient roi. À leur avis, la social-démocratie ne répond plus aux besoins croissants de la population mondiale. Ignorant la Déclaration universelle des droits de l'homme, les valeurs d'égalité et de fraternité sont négligées. La liberté devient la liberté fondamentale. Trois grands pays donnent le ton: les États-Unis (Ronald Reagan), l'Angleterre (Margaret Thatcher), et le Chili, (Pinochet). La première ministre britannique, Margaret Thatcher, n'hésitait pas à dire  : "There is no such thing as a society" (la société, ça n'existe pas - il n'y a que des individus qui luttent pour leur propre vie).

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En peu de temps, l'inégalité des droits et du partage de la richesse, brise les pays. Elle est source d'injustices, de conflits, de luttes des classes, de fraudes et même de sauvageries !

Par surcroit, la mondialisation de la finance et l'évaluation des devises par le marché, deux initiatives du néolibéralisme, s'imposent : (1) la spéculation, soit la production de richesse sans production de biens et de services, une économie déconnectée de l'économie réelle et (2) l'endettement. L'accumulation de richesses par les mieux nantis rend le crédit et l'endettement plus facile par la création de marges ou de cartes de crédit. « Jouissez de la vie maintenant – et payez plus tard » devient la nouvelle promesse d'un bonheur immédiat.

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Jamais l'argent n'aura été aussi important pour les populations. L'argent est devenu roi. Il est désormais la mesure du succès. Alors que jadis son accumulation exagérée était qualifiée d'avarice – un péché – elle est désormais la démonstration d'une vie réussie! De plus, jamais les besoins des êtres humains n'auront été autant surmultipliés alors que les inégalités sont maintenant à des niveaux qui nous ramènent aux tristes réalités de l'Antiquité. Sur le seul plan de la richesse, 3 % de la population détiendrait 50 % de la richesse mondiale. Les patrons de certaines entreprises profitent de rémunérations annuelles qui valent 300 fois ce que gagne la moyenne de leurs employés.

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Autant de moyens de rétablir les luttes des classes qui sont source de révoltes et de conflits. Ajoutons à cela que jamais les changements techniques n'ont été aussi grands et rapides; jamais les entreprises commerciales et industrielles n'ont été aussi puissantes; jamais les grands financiers n'ont autant influencé et, jusqu'à un certain niveau, contrôlé les États.

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Alors que, dans l'histoire de l'humanité civilisée, le XXe siècle apparait comme étant le siècle le plus prolifique sur le plan des connaissances, de la matière et de la capacité du génie humain d'exploiter les ressources de la planète, il est aussi le siècle le plus meurtrier. Deux grandes guerres mondiales, 1914-1918 (15 millions de morts) et 1939-1945 (50 millions) et aussi une série de guerres régionales et locales. Et le XXIe s'annonce guère moins meurtrier. « Le monde est en feu » titrait l'an dernier un grand journal de France (3). Bref, autant d'effets négatifs d'une grande dérive. L'économie moderne s'est fourvoyée, écrit le grand économiste Joseph Stiglitz. Il a raison. Le système socioéconomique actuel a mené à une montée valorisée de l'individualisme. Les membres de l'ONU sont impuissants à respecter leurs engagements inscrits dans les Déclarations des droits de l'Homme.

De nombreux économistes s'inquiètent et plaident en faveur du rétablissement de l'équilibre essentiel entre les trois pouvoirs constituants toute société qui se veut démocratique, soit les pouvoirs politique, économique et le pouvoir de la société civile. Pour en assurer l'équilibre, tel un tabouret, ces pouvoirs doivent être d'égale importance. Au cas contraire, la domination de la société civile risque l'anarchie; celle du pouvoir politique risque la dictature ou l'autoritarisme, et celle de l'économie, comme celle d'aujourd'hui, mène à la dérive. 

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La première dimension d'une perspective permettant cet éventuel équilibre est, à mon avis, une éducation à la citoyenneté, dès le bas âge. Des recherches récentes démontrent que la façon dont les écoliers et les adultes comprennent les inégalités économiques dans le monde présente de grosses lacunes. (4) Ils en acceptent aisément les conséquences comme si l'inégalité était normale et naturelle entre les humains. Il faut, à mon avis, remettre à l'ordre du jour l'éducation et l'enseignement de la philosophie menant à la prise de conscience de la véritable nature de l'être humain tout comme l'enseignement de l'histoire de l'évolution des régimes politiques et en particulier celui de la démocratie. Autrement dit, éduquer en apprenant à apprendre et en formant de véritables citoyens et non plus de simples consommateurs ou bénéficiaires des services de l'État.

La deuxième dimension de cette perspective doit faire en sorte que les trois pouvoirs fondamentaux des sociétés, mentionnés plus haut, travaillent inlassablement à rétablir un équilibre entre leur poids respectifs. Seule cette mise à niveau peut garantir, pour tous, une liberté qui ne nuit pas à celle des autres, une égalité des droits et des chances, en somme, une fraternité authentique qui ouvre sur une justice et un partage équitable des ressources planétaires. Bref, comme le disait St-Thomas d'Aquin : « L'homme ne doit pas tenir les choses extérieures pour privées, mais pour communes ».(5) Ce sens du « bien commun » est central pour l'établissement de la justice. Benoit XVI, dans son encyclique « L'amour dans la vérité », l'a mis de nouveau en lumière comme un défi pour nos sociétés aujourd'hui : « L’activité économique ne peut résoudre tous les problèmes sociaux par la simple extension de la logique marchande. Celle-là doit viser la recherche du bien commun, que la communauté politique d’abord doit aussi prendre en charge. » (encyclique Caritas in veritate, no. 36)

NOTES

 

1. La guerre 1939-1945. Destruction de grandes villes et 50 millions de morts.

2. Paul Krugman, L'Amérique que nous voulons, Flammarion.

3. Le monde diplomatique. (Paris, France.)

4. Joel Westheimer, Former un meilleur citoyen, Université d'Ottawa

5. Cité dans l'Encyclique Centisimus Annus.

vol. 121, no 3 • 15 octobre 2016

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