Comment reconnaître des chrétiens authentiques aujourd’hui ? Les valeurs dites chrétiennes sont pratiquées aussi par des athées, soucieux de justice sociale et d’engagement.
Et si la foi chrétienne ne se voyait que lorsqu’elle est en action ? C’est dans la foi d’Israël au Dieu Un qu’elle prend sa source et c’est dans l’expérience de Jésus dans le service du lavement des pieds et du don de soi qu’elle trouve sa plénitude.
« Écoute, Israël, ! Le Seigneur notre Dieu est le Seigneur UN. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de tout ton être, de toute ta force. »
Dt 6, 4-5
Je discutais dernièrement avec une amie avec qui j’ai travaillé à l’Accueil Bonneau il y a quelques années. Elle venait de postuler pour un nouvel emploi dans un autre centre de services, anciennement tenu par une communauté religieuse.
ATHÉE ET ENGAGÉE DANS LA JUSTICE SOCIALE
Sachant qu’elle se dit athée, je lui lançe une question, innocemment : « C’est tout de même curieux que toi, supposée athée, tu sois ‘’attirée‘’ par le monde religieux, jusqu’à souhaiter t’impliquer encore dans leurs anciennes œuvres ». Piquée, elle réplique que oui, elle a des valeurs reconnues comme chrétiennes, sans pour autant adhérer à la doctrine de l’Église. Elle est toujours été intéressée par l'action sociale, la justice, la défense des droits, l’éducation, la santé ; je ne devais donc pas m’étonner qu’elle tourne autour des chrétiens, puisqu’il y a un peu plus de cinquante ans, c’étaient les communautés religieuses qui occupaient tous ces domaines.
Notre échange a finalement pris une autre direction, moins confrontante. Cependant, ma réflexion continuait intérieurement durant les jours suivants. Pour identifier des chrétiens, des vrais, je suis convaincu qu’ils doivent être en action, comme le souligne l’épitre de Jacques : « C'est par mes actes que je te montrerai ma foi » (Jc 2, 18). Me reviennent à la mémoire un certain nombre de gens que je qualifierais de ‘’pratiquants‘’, dans les deux sens : l’eucharistie est à la source de leur vie chrétienne et leur témoignage de vie est indissociable de leur foi. Pour eux, le Royaume de Dieu est à faire surgir, aujourd’hui, dans notre monde actuel et pas seulement dans l'avenir. Ces personnes vivent leur religion et leur engagement de vie en harmonie.
DES VALEURS CHRÉTIENNES?
Comme exemple de valeurs chrétiennes, je pense à l’accueil et à l’ouverture, à la solidarité, au respect des différences, à la compassion, à la confiance dans les capacités de l’autre, etc. Mais ces valeurs sont-elles universelles ou spécifiquement chrétiennes? Toutes les religions recherchent le bien de l’humanité. Pour ce qui est de la société québécoise qui a baigné dans une atmosphère religieuse durant plusieurs siècles, la transmission d’une éducation chrétienne s’est faite d’une génération à l’autre. Si pour une arrière-grand-mère, la générosité envers les démunis était importante, elle a sûrement transmis sa bienveillance à ses enfants, qui l’ont transmise à leur tour à leurs enfants, et ainsi de suite jusqu’à ce qu’on en oublie l’origine tellement l’attitude est ancrée dans les mœurs.
ÉCOUTE ISRAËL! LA SOURCE
Alors, quelle serait une valeur spécifique à laquelle tout chrétien se réfèrerait ? Allons à la source : l’enseignement de Jésus. En partant du Shema Israël, commandement au centre de la foi juive (« Écoute, Israël, ! Le Seigneur notre Dieu est le Seigneur UN. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de tout ton être, de toute ta force. » Dt 6, 4-5)
Jésus enseigne au scribe que l’amour est la voie de la vie éternelle grâce à la parabole du bon Samaritain (Lc 10, 25-37). Un étranger vient au secours d’un illustre inconnu, sans attendre aucune reconnaissance ou gratification car il continue son chemin. L’acte posé est le seul qui a du sens pour ce Samaritain et son geste de service est entièrement gratuit !
J’ai choisi de poursuivre ma réflexion avec des collègues (dont plusieurs, il me semble, représentent divers modèles de chrétiens). Se pouvait-il que des personnes correspondent au critère dit « chrétien » par leur comportement, sans pour autant exprimer clairement leur croyance – ou même être conscient de leur conformité ? « Alors les justes lui répondront : 'Seigneur, quand est-ce que nous t’avons vu... ?' » (Mt 25, 37). Car l’Esprit agit bien en tout être humain puisque le Christ est mort pour tous (Cf. Conc. Vat. II, Const. past. Gaudium et spes, Chap. 1, par. 22, no 5).
CHOISIR DE SERVIR L'AUTRE
Cette position tranchée fait aussi référence au récit de la dernière Cène dans l’évangile de Jean : contrairement aux évangiles synoptiques, il n’est nullement question de partage du pain et du vin comme symbole de la nouvelle Pâque, mais plutôt de lavement des pieds. C’est d’ailleurs cet extrait qui est choisi au soir du Jeudi Saint, et non un évangile relatant l’institution de l’Eucharistie.
Dans la finale de cet épisode, on peut entendre l’invitation de refaire le geste en mémoire de Jésus : « Si donc moi, le Seigneur et le Maître, je vous ai lavé les pieds, vous aussi vous devez vous laver les pieds les uns aux autres. C’est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai fait pour vous » (Jn 13, 14-15).
Jésus ne louange pas l’incompétence : nous devons être des experts dans notre domaine. Cependant, nous devons être au service des autres; c’est une question de regard, de manière d’être. Saint Paul nous le dit autrement dans l’hymne à la charité (1Co 13, 13) : l’amour donne la raison de tout ce qu’on fait. Sans cet amour, nos plus beaux talents sonnent faux.
Le lavement des pieds dans l’évangile de Jean n’oppose pas l’Eucharistie au service : il les met sur le même pied d’égalité. La relation intime au Christ est infiniment souhaitable : c’est elle qui assure la solidité, l'ancrage durant la tempête. Cependant, le changement intérieur qu’elle provoque n’est pas facilement décelable par l’entourage. Le partage du pain et du vin n’apparait pas comme suffisant. C’est l’argument de ceux qui s’engagent à cause de l’enseignement de Jésus, mais ne ‘’pratiquent‘’ pas selon un rituel précis ni régulier.
AIMER ET SERVIR
L’évangile de Jean termine l’épisode du lavement des pieds par le commandement laissé par Jésus, qui complète le Shema Israël mentionné plus haut : « Je vous donne un commandement nouveau : c’est de vous aimer les uns les autres. Comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres. Ce qui montrera à tous les hommes que vous êtes mes disciples, c'est l’amour que vous aurez les uns pour les autres » (Jn 13, 34-35). C’est donc sur l’amour que nous avons envers les autres que nous sommes déjà jugés : « Et le Roi leur répondra : 'Amen, je vous le dis : chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces petits qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait' » (Mt 25, 40).
En conclusion, on peut donc voir des gens qui, par leur action, suivent l’enseignement de Jésus sans le savoir; d’autres qui le savent mais ne se retrouvent pas dans les lieux officiels de l’Église; enfin, des chrétiens engagés au service des autres parce que faire advenir le Royaume de Dieu est une nécessité qui sollicite leur collaboration.