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CES GENS QUI INSPIRENT

GILLES KÈGLE, L’ÊTRE BLESSÉ DEVENU SOIGNANT    

Gilles Kègle a choisi d’exercer sa profession d’infirmier-auxiliaire hors du milieu institutionnel. Son option découle d’une grande sensibilité envers les exclus, mais aussi de sa foi au Dieu-amour. 

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« Mon église est une église de cœur, non une église de pierres et de richesses. »

Gilles Kègle devant la Maison qui porte son nom, rue du Pont. Crédit : Radio Canada, 2019

Je vous présente Gilles Kègle qui a choisi d’exercer sa profession d’infirmier-auxiliaire hors du milieu institutionnel. Son option découle d’une grande sensibilité envers les exclus, mais aussi de sa foi au Dieu-amour. Découvrons-le dans ces pages.

PORTRAIT

Aîné d'une famille de six enfants, son père le traite de bon à rien et Gilles achète ce cruel jugement paternel. N’éprouve-t-il pas des difficultés d’apprentissage alors que les autres membres de la fratrie réussissent ? Par chance, une tante convainc ses parents de lui payer des études dans une école commerciale où l’approche éducative est assurée par petits groupes d’une dizaine d’étudiants. Or au contact de l’enseignant propriétaire, Gilles acquiert confiance en lui et obtient enfin des succès scolaires qui lui valent un diplôme terminal correspondant à l’époque, à la 9e année. Le jeune Kègle découvre qu’il est intelligent et doué d’une excellente mémoire. On lui offre alors un emploi en comptabilité dans une bijouterie de sa ville natale.

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Sa fibre humaine le rend si empathique qu’il commence à héberger des sans-abris. Aussi et durant une décennie, offrira-t-il un gîte temporaire à une centaine de personnes malgré que sa famille le désapprouve. Il choisit bientôt de s’en éloigner.

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Gilles se cherche encore et croit pouvoir devenir prêtre. Aussi part-il pour Québec dans une communauté religieuse qui l’accueille, mais l’oriente plutôt vers les services communautaires. Il y séjournera quatre ans, puis la quittera pour revenir dans sa ville natale. Âgé de 24 ans et mû par son zèle, il choisit de devenir missionnaire de rue.

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Dix ans plus tard, le Trifluvien décroche un diplôme de Ve secondaire comme infirmier auxiliaire et complète sa formation par un stage en milieu hospitalier à Shawinigan. Il y travaillera cinq années dans un hôpital psychiatrique[1], un emploi qui le comble vraiment. Mais puisqu’au contact des gens désoeuvrés, le singulier infirmier avait développé un problème d’alcoolisme, on lui recommande d’aller suivre une cure de désintoxication. Cet arrêt de travail est assorti de la promesse que l’employeur le réembauchera après le traitement. Pendant cette pause thérapeutique, Gilles prend alors conscience qu’il consomme pour soigner des troubles digestifs, combattre sa peur de la mort, composer avec un traumatisme de rejet, la dévalorisation et le pénible sentiment de solitude qui l’accable. Au sortir de sa réadaptation, il fait un court séjour à l’Abbaye d’Oka.

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Son retour au travail sera interrompu suite à une sévère agression infligée par un patient et l’infirmier devra récupérer la santé. Un tel traumatisme le conduit à remettre sa démission au grand dam de la direction qui estime que l’employé « se distingue particulièrement par sa disponibilité face à l’équipe de travail et aux bénéficiaires. L’administration des soins infirmiers apprécie grandement son souci du bien-être des bénéficiaires et son apport humain des soins. (…) L’appréciation globale de cet employé face à son rendement (…) est qu’excellente. »[2]

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À l’aube de ses quarante ans, le Trifluvien part pour Québec et travaille un temps pour une agence de placement qui abuse de lui. Il la quitte et se retrouve un temps bénéficiaire de l’aide sociale, une condition qui lui fait vivre des moments de déprime. Il en est réduit à ramasser des cannettes et bouteilles vides consignées pour arriver à payer son modeste loyer[3].

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Heureusement le chômeur se ressaisit et fait alors valoir sa formation d’infirmier auxiliaire auprès d’un organisme populaire qui le prend sous son aile.

L’INFIRMIER AUXILIAIRE, INFIRMIER À TOUT FAIRE

Cet engagement lui permet d’effectuer un travail de maintien à domicile. S’il avait rédigé sa définition de tâche, on y aurait lu : ménage du logement, soin de santé et hygiène personnelle, lessive, soin des animaux, préparation des repas, courses pour qui ne peut se déplacer. Autant de travaux exécutés sous le signe de l’écoute. Car plusieurs des gens visités « sont âgés; ils vivent seuls avec des revenus modestes et voient peu de gens. Ses visites les rassurent. »[4] Gilles s’en désole et confiera à son ami journaliste, Robert Fleury : « Comment peut-on laisser un membre de la famille à l’abandon, sans aucune visite ? »

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Monsieur Kègle rend le plus souvent visite à ses patients à vélo, roulant à contre-sens, quel que soit le temps qu’il fait. Son télé-avertisseur facilite les nombreuses prises de rendez-vous. Il s’adonne à sa profession avec un tel zèle qu’il ne se plaint jamais et pense que « Les autres sont tellement plus à plaindre. » L’infirmier confiera « Je donne ma vie entièrement aux démunis. Quand je finis de travailler le soir, je suis au bout de mes forces. »[5]

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Ce nouvel intervenant sanitaire du quartier Saint-Roch représente tout un personnage qui acquiert bientôt une certaine notoriété quand des représentants des mass médias locaux et régionaux commencent à s’y intéresser. Il n’est donc pas surprenant que les journalistes de la capitale provinciale l’aient surnommé la « Mère Thérèsa du quartier (Saint-Roch) ».

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Crédit : TVA Nouvelles, 2018

DES APPRENTISSAGES VÉCUS AU LONG DE SON EXISTENCE

Lorsqu’on lui demande d’où lui vient ce désir de soigner les exclus de la société, il répond que dès son plus jeune âge, il accompagnait sa grand-mère qui prodiguait des soins aux personnes malades ou mourantes. Était-ce un moment prémonitoire ? Quoi qu’il en soit, une relecture de sa vie le conduit à faire un rapprochement entre ce souvenir de petite enfance et l’existence qu’il a menée toute dédiée aux personnes malades ou délaissées.

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Qu’en est-il alors des nombreuses blessures infligées qui l’ont victimisé ? L’aîné de la famille Kègle ne s’est pas arrêté à se morfondre malgré que plus d’une fois, il ait pensé au suicide. Mais à chaque fois, la vue ou la pensée de plus fragile que lui, l’en a détourné. Il a su investir ses forces dans des projets qui l’ont fait grandir. Sa sensibilité s’est transformée en motif de compassion envers les souffrants de son voisinage. L’être blessé est devenu soignant.

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À travers son parcours de vie, le Trifluvien d’origine nous enseigne que quelles que soient les difficultés comme les épreuves, il existe des forces de vie insoupçonnées chez les gens. Elles s’activent à la faveur de rencontres gratifiantes et de modèles que la vie impose. Dans le cas de Gilles Kègle, ces influenceurs ont pour nom Jésus de Nazareth et le bon Samaritain; plus près de nous dans le temps, sa grand-mère et enfin, Mère Thérèsa qu’il aura eu la joie de rencontrer lors de son passage à Québec en juin 1986[6].

L’ÊTRE BLESSÉ, CROYANT MALGRÉ TOUT

Tout jeune enfant et dans l’église paroissiale Saint-Philippe, il a été marqué par un tableau représentant la parabole du Bon Samaritain. Cette image biblique est certainement demeurée imprégnée dans sa mémoire.

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Et bien que sa vie de foi n’ait pas été exempte de doute, l’infirmier marginal, en dépit de tous ses revers, confie néanmoins qu’il trouve l’énergie de continuer « de sa volonté de servir Dieu, de l’amour qu’il manifeste dans chacun des gestes qu’il accomplit en venant en aide à ceux qui en ont besoin. »[7]

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Au soir de sa vie, Gilles confie « J’ai enfin trouvé une grande paix, une liberté d’agir, de penser et une pureté d’expression […]. Ma vie spirituelle n’a cessé de grandir et l’union avec Dieu s’est intensifiée. Union par la pensée, le cœur, la méditation, et par mes soins aux personnes pauvres et malades. Mon église est une église de cœur, non une église de pierres et de richesses. »[8]

DES MARQUES DE RECONNAISSANCE

Malgré sa grande modestie, il accepte quelques marques de reconnaissance, d’abord au niveau local, puis professionnel; ainsi l’Ordre des infirmiers et Infirmières auxiliaires du Québec lui décernera le Prix d’excellence Charlotte Tassé[9]. S’ajouteront tour à tour, l’Ordre du Canada sous le règne de Jean Chrétien ainsi qu’un hommage rendu par  l’Assemblée nationale du Québec.

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N'est-il pas réjouissant que ce singulier Trifluvien ait pu goûter de telles marques de reconnaissance à la fin de sa vie ?

SON ŒUVRE CONTINUE

Aujourd’hui, l’infirmier de rue est âgé de 80 ans. Les conférences données comme les rencontres de groupes scolaires ont fait naître dans ces divers auditoires un désir d’implication auprès des gens pauvres et esseulés. Ainsi un solide réseau de bénévoles s’est formé pour assurer la poursuite de l’action caritative de celui qui les a sensibilisés à panser les blessures des exclus. Rassemblés sous l’étiquette de Missionnaires de la Paix, ces « disciples » pallient les limites de l’infirmier de rue à visiter les malades. En parallèle à ce travail essentiel, Gilles Kègle a reçu de l’aide pour mettre sur pied une Fondation[10] qui porte son nom. Entrée dans sa 27e année d’existence, l’organisation est enfin dotée de moyens financiers importants pour assurer la pérennité de la mission qu’il a initiée il y a quelques décennies.        

NOTES

 

[1] Sainte-Thérèse.

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[2] Anne-Marie Mottet, Gilles Kègle, l’infirmier de la rue. Montréal, Éditions Boréal, 2005, p. 97.

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[3] Robert Fleury. Basse ville. Sainte-Foy, Les Éditions Laliberté, 1994, p. 203. Tout le chapitre 9 est consacré à Gilles Kègle sous le titre « L’Infirmier de Dieu », p. 179 à 212.

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[4] Idem, p. 193.

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[5] Anne-Marie Mottet, Gilles Kègle, l’infirmier de la rue. Montréal, Éditions Boréal, 2005, p. 121.

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[6] Mottet, p. 22.

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[7] Idem, p.121.

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[8] Claudette Lambert, « Entretien avec Gilles Kègle – une vie entière offerte aux démunis » in revue Spiritualitésanté, 1er décembre 2015, Centre Spiritualitésanté de la Capitale-Nationale (CSsanté) - CHU de Québec - Université Laval. v : ENTRETIEN AVEC GILLES KÈGLE | Décembre 2015 | CHU de Québec-Université Laval (chudequebec.ca) Consulté le 27 novembre 2023.

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[9] Mottet, p. 121.

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[10] Fondation Gilles Kègle : Local ouvert du lundi au vendredi de 8h00 à 10h00. Il est situé dans la Maison Gilles Kègle : 380 rue du Pont, Québec G1K 6M7. Pour joindre la Fondation : 418.524-2626.

BIBLIOGRAPHIE 

Fleury, Robert. Basse ville. Sainte-Foy, Les Éditions Laliberté, 1994.                                                      

Tout le chapitre 9 est consacré à Gilles Kègle sous le titre « L’Infirmier de Dieu », p. 179 à 212.

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Lambert, Claudette. « Entretien avec Gilles Kègle – une vie entière offerte aux démunis » in revue Spiritualitésanté, 1er décembre 2015, Centre Spiritualitésanté de la Capitale-Nationale (CSsanté) - CHU de Québec - Université Laval.

 

Mottet, Anne-Marie. Gilles Kègle - L’infirmier de la rue. Montréal, Éditions du Boréal, 2005, 161 p.

vol. 128 no 2 • Décembre 2023

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