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UN CHOC DE CULTURE : LES FAMILLES AFRICAINES AU QUÉBEC

LA FAMILLE, LE SYNODE, RÉFLEXIONS ET ENJEUX

C'est un choc culturel considérable que vivent les familles africaines qui viennent s'établir au Québec. Souvent présenté comme une terre paradisiaque, le Québec et sa culture font vivre aux Africains une réalité bien différente, source de bouleversements personnels importants. Le P. Zoloshi, africain lui-même et responsable de la paroisse Mission Notre-Dame d'Afrique, a développé une approche adaptée: une pastorale de proximité.
En contexte occidental, la structure de la Communauté Famille Chrétienne veut être, à la Mission, une famille élargie qui accompagne et soutient…

Parler de l’expérience des familles africaines au Québec et du choc de culture qu’elles vivent dans leur terre d’accueil, voilà un thème complexe.

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Penché sur le sujet, j’ai très vite constaté son étendue. Je me suis rapidement rendu compte qu'un tel sujet demande une approche sociologique et devrait s’appuyer sur des entrevues.

Dans cette foulée, je me suis posé plusieurs questions quant aux variables qui peuvent influer sur ma présentation : de quelles familles africaines dois-je parler ? Familles congolaises ? sud-africaines ? marocaines ? monoparentales, divorcées, recomposées, chrétiennes en général, catholiques en particulier ? Et dans les congolaises, originaires de Kinshasa ou de la province ? Familles de quelle génération d'immigrés ? Familles en recherche d'emploi ? Avec ou sans enfants ? Quant à la province d'accueil — le Québec  — c'est aussi très étendu, car du point de vue culturel, Montréal est différente de la ville de Québec, et celle-ci l'est tout autant de Trois-Rivières... Autre difficulté, le concept de choc culturel, comment est-il appréhendé? Affirmer l'existence du choc culturel, n’est-ce pas déjà prendre position ? Sur quoi une telle prise de position se fonde-t-elle ? Sur l'observation ? À partir de quel échantillon ? Il m’a donc semblé que la complexité du thème proposé nécessitait un travail impossible à réaliser dans un article court pour la revue. J’ai donc choisi de me concentrer sur quelques variables très simples, afin de faire reposer le contenu de l'article sur une réalité vécue par la population cible et non pas sur des conjectures ou des statistiques.

Depuis que je suis devenu responsable de la Mission Notre-Dame-d’Afrique, je passe beaucoup de temps à observer, échanger et réfléchir sur la situation des immigrants d’origines sub-sahariennes présents dans notre communauté, particulièrement ceux du Burundi, du Cameroun, du Congo-Kinshasa, Congo-Brazzaville, de la Côte d’Ivoire, du Mali, du Sénégal, du Rwanda et du Tchad. Responsable de la communauté et moi-même d’origine africaine, je me trouve souvent aux premières loges pour observer les nombreux chocs culturels vécus par les immigrants issus de l’Afrique sub-saharienne qui s’installent au Québec. Parfois étonné par ce que je vois, ma surprise s’est récemment accentuée davantage. À l’occasion des deux Assemblées Synodales romaines sur la famille, en octobre 2014 et 2015, nous avons organisé ici à la Mission, une Semaine de la famille. Plusieurs problèmes familiaux ont alors été soulevés et, du coup, ont davantage retenu mon attention. Ces problématiques m’ont permis de prendre conscience de quelques expériences significatives des familles africaines qui arrivent au Québec et, donc, du choc culturel qu’elles vivent dans leur nouvelle terre d’accueil.

L'autorité parentale

En Afrique, un parent peut décider pour son enfant, sans consulter le concerné. Un père et/ou une mère peuvent effectivement, par exemple, donner leur fille ou leur garçon en mariage, sans demander son consentement. En contexte occidental, plus précisément québécois, ces mêmes parents découvrent qu’ils ne peuvent pas se permettre d’agir comme en Afrique. Bien plus, les enfants nés au Québec ou qui y ont grandi, ont acquis une autonomie dans la gestion de leur vie privée. Dans ce contexte, les familles qui arrivent au Québec, se trouvent au cœur de turbulences. Quand les parents ne veulent pas tenir compte de la nouvelle donne, ils entrent en conflit avec leurs enfants. Les parents ont l’impression de perdre leur autorité parentale. Ils accusent leurs enfants de perdre les « bonnes » valeurs africaines. De leur côté, les enfants considèrent que leurs parents sont déphasés et incapables de s’adapter à la mentalité occidentale.

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L’égalité homme-femme

En Afrique, l’égalité homme-femme est un principe qui n’est pas connu, inimaginable même! Dans la famille, l’homme est considéré comme le chef. Son pouvoir est incontestable ; ses décisions sont irrévocables. La femme est presqu’une mineure. Dans une même famille, les garçons sont considérés comme supérieurs aux filles. Une dame m’a confié un jour : « Lorsque j’ai accouché seulement de filles, les gens me disaient clairement que je n’étais pas chanceuse et que je n’avais pas d’avenir… J’étais tellement malheureuse! »  Un homme a rendu témoignage et regretté d’avoir voulu laisser sa femme parce qu’elle ne mettait au monde que des filles... Les Africains qui arrivent au Québec sont marqués par un contexte d’inégalité relationnelle dans les couples et les familles. Dans un tel contexte, il va de soi que le choc culturel est très grand et ses conséquences évidentes.

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Le pourvoyeur familial

En Afrique, le père de famille est, habituellement, celui qui pourvoit aux besoins de la famille, celui qui a un emploi. Lorsqu’il arrive que sa femme travaille, l’emploi de cette dernière est habituellement, moins rémunéré. Au Québec, les femmes ont des emplois — trop souvent encore moins rémunérés — mais elles ont parfois des emplois mieux rémunérés que leur mari. Une situation où les rôles peuvent être inversés avec une recherche de partage des tâches et d’harmonie à réinventer. Des situations complexes qui comportent des discussions parfois âpres, une recherche de consensus, ou encore des décisions de vie matrimoniale différente. Une problématique qui secoue les traditions africaines.

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Le concept de famille

En Afrique, la famille a une définition et une composition très large. Dans la famille africaine, il n’y a pas que le père, la mère et les enfants. Elle comporte aussi les cousins, cousines, neveux, nièces, tantes, oncles, incluant parfois les voisins et les gens du quartier et du village. Dans la famille africaine, les enfants issus de la deuxième ou troisième femme, sont considérés comme des frères et sœurs. Quand je vais au Congo avec des amis québécois, hommes ou femmes, je suis toujours amusé de les entendre me demander des précisions sur ce sujet, notamment lorsque je fais des présentations familiales. « Est-ce ton frère, ton vrai frère ? », surpris sont-ils par l’élasticité des relations familiales africaines! Au Québec, lorsqu’on parle du frère ou de la sœur, on sait que c’est celui ou celle qui est issu du même père et de la même mère. Un cousin n’est pas un frère ; l’enfant né d’un deuxième conjoint ou conjointe se nomme demi-sœur ou demi-frère… Les Africains, qui arrivent à Montréal, sont eux aussi très embêtés par toutes ces précisions qui caractérisent les relations familiales au Québec. Lorsqu’ils débarquent ici avec leurs neveux et nièces, qui sont leurs enfants, et qu’ils sont tenus de préciser le statut des uns et des autres, voilà ce qui crée des distances dans la famille et change le regard porté les uns sur les autres. Il est facile d’y voir souvent des conséquences graves sur l’éducation des enfants. À ce choc lié à la définition et à la composition de la famille, s’ajoute le cortège de difficultés liées aux divers types de familles africaines et québécoises.

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La reconnaissance des compétences

Plusieurs, Africains viennent au Québec avec des qualifications académiques. Ils espèrent avoir un emploi et des considérations semblables à ce qu’ils avaient dans leur pays d’origine. Arrivés au Québec, leurs qualifications ne sont pas prises en compte. Pour gagner leur vie, ils sont dès lors obligés de se transformer en ouvriers et à exercer des métiers qu’ils n’ont jamais imaginé devoir pratiquer un jour. Déception, frustrations, diminution d’estime de soi, culpabilité envers ses responsabilités personnelles, relations moins transparentes avec les nouveaux concitoyens, dignité amochée… tous sentiments qui portent à vivre en circuit fermé avec les gens de son pays d’origine.

Plusieurs autres exemples peuvent témoigner du choc culturel et de douloureuses expériences significatives de ce choc des familles africaines qui s’établissent au Québec. Je me limite aux quelques cas présentés plus haut, en sachant qu’ils suscitent déjà plusieurs questions. On peut se demander, par exemple, comment les Africains arrivent à traverser toutes ces situations? Que fait-on, à la Mission Notre-Dame-d’Afrique, pour accompagner les familles qui, installées au Québec et insérées tant bien que mal dans la communauté québécoise, subissent les effets du choc culturel ?

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Face aux difficultés familiales vécues par les Africains qui subissent le choc culturel, il faut trouver le moyen d’être proche des gens, être à l’écoute de leur vécu, être capable de les accompagner, de leur proposer des ressources, etc. Il faut en outre créer des groupes de cheminement et de soutien... À la Mission Notre-Dame-d’Afrique, nous avons mis en place une pastorale sociale à l’image d’une fratrie dans laquelle tout le monde se préoccupe du sort de tout le monde. Une fratrie dans laquelle la solidarité est une valeur sacrée ! Avec la rapidité du téléphone dit arabe (africain pour nous), toute nouvelle ressource qui peut être utile, toute nouvelle formation qui peut déboucher sur un emploi, toute information pertinente est vite relayée aux sœurs et frères… Pourvu que ce soit de nature à aider l’autre !

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À la Mission, nous avons aussi un réseau de communautés ecclésiales vivantes de base (CEVB) qui permettent aux membres, à cause de la proximité géographique, d’être proches les uns des autres, de se préoccuper du sort les uns des autres. Ces CEVB sont des cellules familiales qui se réunissent dans les maisons familiales.

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Un dernier élément à signaler. À la suite de la Semaine d’évangélisation sur la famille en mai 2015, nous avons démarré un noyau de la Communauté Famille Chrétienne. Ce noyau, formé de couples choisis, s’est donné pour mission d’accompagner les couples et les familles avant et après la célébration de leur mariage dans la communauté. Un noyau qui est un prolongement de la structure clanique africaine, structure à travers laquelle les problèmes familiaux se résolvent et où on soutient les familles en difficulté, avec l’aide des aînés et des sages. En contexte occidental, la structure de la Communauté Famille Chrétienne veut être, à la Mission, une famille élargie qui accompagne et soutient…

Sans oublier tout ce qu’apportent les paliers gouvernementaux et les organismes sociocommunautaires, les quelques exemples présentés plus haut permettent de voir l’apport spécifique de la Mission face au choc culturel que vivent les familles africaines qui s’installent à Montréal. On comprend qu’à la Mission Notre-Dame-d’Afrique, la pastorale sociale, les CEVB, la Communauté Famille Chrétienne, les homélies et toutes les autres instances et expériences de la vie en communauté chrétienne sont des espaces où l’annonce de l’Évangile prend aussi un visage concret dans l’accompagnement et le soutien des familles et des personnes écorchées par le choc culturel qui vient de l’installation en terre d’accueil québécoise, spécifiquement montréalaise.

vol. 121, no 1 • 15 mars 2016

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