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« MONTRER SA FOI DANS LA RUE »?

PAIX MON VOISIN
UN MUSULMAN HEUREUX ICI, C’EST POSSIBLE ?

Paix mon voisin. C’est là que s’engage le dialogue qui conduit à des conditions de respect et de paix. Le regard d’un citoyen musulman sur notre société est source de lumière et et de joie.
« Montréal est la cité accueillante qui observe avec curiosité ou détachement, toujours souriante, les conduites et postures d’autrui ; c’est le secret de sa vie démocratique, c’est aussi celui de son histoire. Dans tous les cas, elle gagne en richesse culturelle et offre au monde l’image reconnue d’ouverture et de tolérance. Tout un chacun peut y vivre sa foi, sans entrave et sans crainte. Les cultes se pratiquent et se côtoient : catholiques, protestants, témoins de Jéhovah, bahaïs, bouddhistes, juifs, musulmans, et d’autres et d’autres…Leurs adeptes, rendent grâce à Dieu, dans la sérénité et l’intimité de leurs consciences ; ils y trouvent la tranquillité et s’éveillent aux espérances des lendemains ».
Alors pour avoir le calme puis peut-être le bonheur, ne faudrait-il pas dialoguer ? Même en commençant par un dialogue... de sourds... qui veulent quand même s’entendre ? 

Un musulman heureux à Montréal? Pourquoi pas? D’ailleurs, on l’oublie quelque peu, mais Montréal est une ville qui abrite plusieurs religions venues de tous les coins du monde. Montréal, « Cité religieuse » ? L’ancienne Ville Marie est une île où viennent s’agglutiner tant de lointaines et étranges croyances, qui, souvent malmenées et parfois pourchassées, finissent par s’arrimer à ce carrefour-refuge. Elle est donc la cité accueillante qui observe avec curiosité ou détachement, toujours souriante, les conduites et postures d’autrui; c’est le secret de sa vie démocratique, c’est aussi celui de son histoire. Dans tous les cas, elle gagne en richesse culturelle et offre au monde l’image reconnue d’ouverture et de tolérance. Tout un chacun peut y vivre sa foi, sans entrave et sans crainte. Les cultes se pratiquent et se côtoient : catholiques, protestants, témoins de Jéhovah, bahaïs, bouddhistes, juifs, musulmans, et d’autres et d’autres… Leurs adeptes, rendent grâce à Dieu, dans la sérénité et l’intimité de leurs consciences; ils y trouvent la tranquillité et s’éveillent aux espérances des lendemains.

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Je force à peine le trait en décrivant les vertus de cette ville ; elle m’a appris au fil des ans que mon islam n’est pas le centre du monde; et je m’attends à un légitime respect et non à une franche ou silencieuse désapprobation, c’est à la condition que je ne prétende à nulle supériorité ni condescendance. Au milieu de tant de cultes rendus à Dieu, mon culte et ma foi, ne reflètent que mes croyances, celles-là mêmes qui doivent coexister avec tant d’autres. Et c’est peut-être pour cela qu’il est parfois sage de dire : au fond, Dieu ne jugera pas les êtres humains selon la nature du culte qu’ils professent mais selon la pureté de leur cœur et la force de leur foi.

LA FOI ET LA CULTURE DE MES ANCÊTRES PAYSANS

Je m’oblige souvent, par réflexion et par discipline intérieure, à relativiser toute chose parce que je vis avec les autres et j’apprends et m’imbibe auprès d’eux. C’est aussi parce que je suis le produit d’une culture et d’une foi, héritages d’ancêtres paysans, hommes humbles aux conduites paisibles, loin de toute animosité et du tumulte du monde. Proches de la nature, s’accommodant avec patience à une permanente frugalité, ils perpétuent leur islam avec une ferveur aussi silencieuse que tenace. Je me sens comme ce chaînon, pas très solide je l’avoue, qui perpétue  cette foi de charbonnier mais sans pour autant prétendre parvenir à cette naturelle modestie qui caractérisait les mœurs et la morale de vie de ces ancêtres.

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Dans ma mémoire, s’invitent parfois d’anciennes images de leur vitalité paysanne et dont le labeur, l’endurance et l’effort de survie les tiennent éloignés de tout excès de dévotion et de religiosité factices. Ils évitaient de faire étalage de leurs croyances; leur prière comme leur travail ne sollicitent pas le regard de l’autre et ils n’éprouvent absolument aucun besoin de se donner en spectacle. Je crois que s’ils étaient encore de ce monde, ils seraient à coup sûr heurtés dans leur retenue et leur authenticité, par ces frénésies agressives et ces insolites accoutrements qui marquent aujourd’hui, de façon visible et bruyante, un certain islam dans lequel les musulmans, dans leur immense majorité, ne se reconnaissent pas.

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On oublie souvent que la culture musulmane constituait en grande partie la base de toute éducation. Depuis des temps immémoriaux les versets coraniques imprègnent les premières années de vie et, entrelacés avec l’histoire familiale, ils font surgir au tréfonds de chaque âme, un bouillonnement de sentiments. Et puis les vicissitudes de l’Histoire ont profondément marqué le monde musulman; humilié, opprimé mais enfin émancipé, il est sommé aujourd’hui de surmonter de lourds et terribles handicaps. Dans son identité plurielle mais blessée, cette culture religieuse originelle est perçue comme l’oasis mythique à jamais perdue : par la faute des croyants et par les coups de boutoirs de l’étranger. Voilà pourquoi le texte sacré, avec son extrême beauté dans sa forme et comme dans son fond, avec son incantation émotionnelle, transmet pour toujours le message d’une inévitable libération, celle d’une foi récompensée et d’une justice immanente.

VIVRE À MONTRÉAL ET OBSERVER UNE NÉCESSAIRE BIENSÉANCE

De nombreux musulmans reconnaissent ressentir comme une grâce (rahma en arabe) de vivre dans une société paisible et où convulsions sociales et querelles violentes ne font pas partie du paysage. Il faut être un tantinet de mauvaise foi (sans jeu de mots) pour ne pas apprécier à leur juste valeur la tolérance et l’empathie de cette société d’accueil qui, pour les nouveaux arrivants quittant leurs patries tourmentées, a été rêvée comme la « Cité idéale », la société refuge, avant d’être celle de tous les espoirs d’une vie heureuse et paisible pour soi et pour sa descendance.

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Il est si facile de vivre à Montréal, en ayant le souci d’observer une nécessaire bienséance, c'est-à-dire une certaine réserve de bon aloi. Je mesure tous les égards envers ma religion qui se traduisent par ce besoin sincèrement exprimé par les « gens d’ici » de connaître mieux nos croyances et ce par empathie et saine curiosité. Fait encore plus remarquable : cet élan émouvant de congrégations religieuses catholiques qui en moins d’un siècle ont réussi l’extraordinaire pari de rendre compatible leur foi avec les rudes et parfois brutales exigences de la modernité. Pragmatiques elles acceptent le déclin des tabous et de certains absolus théologiques. Elles agissent et méditent inlassablement tout en se mobilisant autour d’initiatives d’ouverture, de dialogue et de partage.

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Ce parcours, nous ne l’avons pas encore entamé collectivement ou si peu; nos pratiques demeurent engoncées dans « des tabous et des préventions d’un autre âge ». Rétives à tout changement, elles donnent lieu à des conduites à contre sens des réalités contemporaines. Ma religion souffre lorsque nous assistons, complaisants ou indifférents, aux ravages commis par des attitudes hautaines et des ostentations agressives, qui tentent de diminuer l’autre et élevant son propre ego ; irrationnelles et dérisoires, de telles attitudes ont un impact négatif en déformant la réalité et en récusant tout ajustement au monde. Il faut restituer à l’islam sa dimension rationnelle sans laquelle il risque de sombrer dans les abîmes de controverses et de superstitions archaïques.

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On peut comprendre que des allures hargneuses qui ressortent d’une connaissance étroite de l’islam, gênent ou déplaisent ceux et celles qui sont portés à vivre dans des atmosphères calmes et placides. En réaction, on assiste à des attitudes individuelles injustifiées mais que l’on qualifie, un peu trop vite d’islamophobie et qui pousseraient des personnages sortis d’une autre époque à se poser comme victimes revêches et incomprises dans leur nouvelle société.

DIALOGUE ET HUMOUR, UN CHEMIN D’AVENIR

Les rapports avec mon entourage et plus largement avec mes concitoyens, sont importants pour moi et ma famille ; ils sont empreints de respect et de sérieux et n’excluent pas une certaine convivialité entretenue avec beaucoup d’humour. Une anecdote : d’un certain âge, mon voisin catholique, avec une indifférence audacieuse aux tourments de l’Au-delà me dit : «je ne vais plus à l’église depuis déjà longtemps » ; je lui ai répondu que « je ne suis pas non plus un pilier de mosquée », en ajoutant, plus sérieux, que le Livre Saint condamne l’ostentation sous toutes ses formes et singulièrement dans la prière. Oui, mon voisin et moi, convenons volontiers qu’il faut très souvent revenir sur terre, ne pas trop se prendre au sérieux et se sermonner de temps à autre en se disant que fréquenter le spirituel ne doit pas nous interdire les salutaires humours voire les sarcasmes de la vie temporelle.

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Alors pour avoir le calme puis peut-être le bonheur, ne faudrait-il pas dialoguer ? Même en commençant par un dialogue... de sourds... qui veulent quand même s’entendre ? C’est certainement le seul et unique chemin ; même si les appels à la compréhension et à l’échange restent quelque peu inaudibles ; est-ce un échec ? Non, car combien de promesses ont déjà failli dans les rapports entre croyants de diverses religions et qui maintiennent vivant l’espoir qui se nourrit de ces échecs mêmes ; cet espoir ne cessera pas d’être en devenir et nous autres humbles et vulnérables créatures de Dieu ne cesseront jamais de l’attendre.

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Souhaitons-nous donc paix et bonheur car il nous est donné de partager, sur cette Terre, un destin commun.

vol. 119, no 2 • 15 mars 2014

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