DES MURS...
LES MURS QUE L'ON CONSTRUIT
Le Père Christian Rodembourg, M.S.A. nous invite à réfléchir sur la construction de murs qui divisent et séparent les communautés humaines. Les récits évangéliques nous invitent à une démarche qui est tout autre. Il cite une parole libératrice, tirée du récit de Jean (17,21) « Que tous soient un ! »
Des murs ! Nous en montons des murs… Des murs de pierre et de bois autour de nos maisons. Des murs de couleur : blanc, noir, jaune… Des murs ethniques : français, irlandais, canadien, américain. Des murs d’argent et de classes sociales : riches et pauvres… Murs de famille, murs de caractère, murs de science: diplômés et non diplômés, scientistes [sic]et philosophes, psychologues et moralistes. Murs de races et nationalismes, murs de souverainetés, etc. Or, les murs épais sont les murs que nous fabriquons nous-mêmes. Mais le Christ Jésus est venu renverser tous les murs et réconcilier les frères, tous membres de la même famille humaine qui a Dieu pour Père. « Qu’ils soient un !... ».
Père Eusèbe-Henri Ménard, ofm, 1972
Cette citation du père Eusèbe-Henri Ménard, ofm, fondateur des Missionnaires des Saints-Apôtres m’est revenue en mémoire ces derniers mois. En effet, l’actualité récente évoque un projet potentiel de construction d’un mur de plus ou moins 3200 kilomètres entre les États-Unis et le Mexique suscitant de vives réactions non seulement des deux côtés de la frontière mais également à travers le monde.
Déjà, au 17e siècle, Isaac Newton, grand savant britannique, affirmait que les hommes construisaient trop de murs et pas assez de ponts.
Par ailleurs, comment ne pas avoir en mémoire cette date du 9 novembre 1989 qui fut marquée par la chute du Mur de Berlin ? Comment ne pas rendre grâce à Dieu pour le travail ardent réalisé, à cette époque, par saint Jean-Paul II, en faveur d’une culture de la rencontre ?
Oeuvre © Mathilde Renaud
Pour sa part, lors de son pèlerinage en Terre Sainte, Benoît XVI évoqua audacieusement la construction du mur entre Israël et la Palestine en ces termes : « Dans un monde où les frontières sont de plus en plus ouvertes (…) il est tragique de voir des murs continuer à être construits ».
Récemment, je me suis souvenu qu’un jour, mon père né en 1921, me conta que dans sa jeunesse, ses parents nés au 19e siècle, lui avaient recommandé de traverser la rue afin de changer de trottoir en vue d’éviter de croiser telle ou telle personne qui ne partageait ni leurs valeurs ni leurs convictions.
Devenu jeune adulte, mon père s’empressa de changer de fonctionnement s’interrogeant sur le bon sens de cette recommandation.
C’est alors, me dit-il, qu’il entama un processus « d’œcuménisme » et de rencontre de l’autre, différent de lui. Il découvrit, ainsi, combien bon nombre de ces personnes dites « non fréquentables » partageaient bien plus de points en commun avec lui en tant qu’être humain que de points divergents certes, bien réels.
Il se souvint alors de l’apôtre saint Paul qui eut l’audace et le courage d’annoncer Jésus-Christ à tant de peuples et de gens différents de lui. Saint Paul fut un éminent constructeur de ponts ne portant en lui qu’un seul désir, celui de toucher les reins et les cœurs.
C’est dans cet esprit paulinien que le pape François, depuis le début de son pontificat, marchant aussi dans les pas de saint François d’Assise, désire guider non seulement ses frères et sœurs chrétiens mais toute personne de bonne volonté.
En méditant la Parole de Dieu et, particulièrement les récits évangéliques, nous saisissons la pédagogie du Christ Jésus qui n’exclut personne, envoyant en mission les disciples, deux par deux, leur recommandant d’aller dans le monde entier afin de proclamer l’Évangile à toute la création (Mc 16, 15).
« Les chrétiens qui ont peur de construire des ponts et préfèrent construire des murs sont des chrétiens qui ne sont pas sûrs de leur foi, qui ne sont pas sûrs de Jésus Christ », rappelle le pape François. Et ils se défendent en érigeant des murs…
Marchons sur les pas de saint Paul, fort de son courage apostolique, osant visiter les périphéries de notre humanité où vivent de nombreuses personnes marquées par le règne de l’idolâtrie, de la mondanité et de la pensée faible, précise-t-il.
Ce souci de construire des ponts plutôt que des murs marque incontestablement les quatre premières années de son ministère pétrinien.
En recevant le prix européen « Charlemagne », il exhortait déjà les responsables politiques à abattre les murs et à construire des ponts entre les races, les peuples et les cultures dans l’esprit même des pères fondateurs de l’union européenne, « hérauts de la paix et prophètes de l’avenir ».
À l’occasion d’une rencontre avec les jeunes de Sarajevo, ville symbole de guerre et de division, de souffrance et de violence, le pape François les stimula à oser affronter les défis de notre temps avec efficacité et audace, unis entre eux, bénéficiant de la beauté de la fraternité :
« sauver l’espérance à laquelle vous pousse votre réalité même de personnes ouvertes à la vie ; l’espérance que vous avez de dépasser la situation actuelle, de préparer pour l’avenir un climat social et humain plus digne que l’actuel ; l’espérance de vivre dans un monde plus fraternel, plus juste et plus pacifique, plus sincère, plus à la mesure de l’homme. Je vous souhaite de prendre toujours plus conscience que vous êtes enfants de cette terre, qui vous a engendrés et qui demande d’être aimée et aidée à se rebâtir, à croître spirituellement et socialement, grâce aussi à l’indispensable contribution de vos idées et de votre œuvre. Pour vaincre toute trace de pessimisme, il faut le courage de se dépenser avec joie et dévouement dans la construction d’une société accueillante, respectueuse de toutes les diversités, orientée vers la civilisation de l’amour ».
Tout ceci m’amène à regarder au plus intime de mon cœur, au plus profond de mon être car, changer le monde, cela ne commence-t-il pas en se changeant soi-même ? Et si chacun d’entre nous empruntait, bien humblement, ce même cheminement… ?
Quels sont les murs de mon cœur… dans ma vie quotidienne, dans mes relations aux autres, au sein de mon couple, de ma famille, vis-à-vis de la société au sein de laquelle j’évolue, dans ma communauté chrétienne, dans ma famille religieuse, face à l’humanité et ses multiples différences de langue, de races, de cultures, de religions, de spiritualités… qui devraient s’effondrer définitivement ?
Murs de souffrance, murs de jugement, murs d’impatience, murs d’intolérance, murs de méfiance, mur d’agressivité, murs d’égoïsme et de repli sur soi, murs d’indifférence, murs de suffisance, etc. ?
Les évêques du Mexique et des États-Unis ont, dans un communiqué commun écrit combien « au lieu de construire un mur, (nous) continuerons de suivre l’exemple de François. Nous chercherons à construire des ponts entre les personnes, des ponts qui nous permettent de rompre les barrières de l’exclusion et de l’exploitation ».
« Père saint, garde-les unis dans ton nom, le nom que tu m’as donné, pour qu’ils soient un, comme nous-mêmes » (Jn 17, 11).