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« MONTRER SA FOI DANS LA RUE »?

CROIRE ET PRATIQUER SANS OSTENTATION

AUBERT BERTRAND

Le pluralisme s’est imposé dans nos societés et le confort que plusieurs avaient développé avec l’homogénéité sociale et religieuse s’en est allé. Le bien commun n’est plus l’affaire de la religion, bien qu’elle s’y intéresse vivement ; c’est l’État qui en porte la responsabilité désormais.
La liberté personnelle de l’expression religieuse est-elle menacée pour autant dans un tel environnement laïc ? À titre d’exemple on relate des cas patents d’injustice et de discrimination aux États-Unis, en Malaisie, afin d’illustrer que le défi n’est pas réservé au Québec.
L’attitude évangélique de François s’est traduite dans un conseil simple et puissant à ses frères missionnaires chez les infidèles pour les éclairer dans leurs relations avec tous ceux qui sont de traditions religieuses différentes : « se contenter de confesser simplement qu’ils sont chrétiens ».
Toutes les religions sont susceptibles d’inspirer la bienveillance, la mansuétude et la tolérance.

Au moment où l’on discute d’aménager l’espace public québécois en édictant des règles pour en protéger le caractère laïc, plusieurs craignent que l’on entame par là la liberté de religion à laquelle nous sommes tous attachés. Certains y voient même une menace pour leur foi tandis que d’autres, sans désir explicite de protéger les religions, parlent d’une montée de l’intolérance, du réveil de vieilles peurs...

Le projet que l’on nous a présenté ne contient pourtant aucune menace évidente et il est certes un peu aventuré de prétendre y déceler des signes avant-coureurs de radicalisme « laïcard ».

Autrefois, à l’époque déjà lointaine de l’unanimité religieuse, les signes de la religion dans l’espace publique ne pouvaient pas déranger grand monde car les mêmes signes parlaient partout le langage familier à chacun. Aujourd’hui, notre société devenue pluraliste a raison de faire appel à la discrétion. L’espace public est ce lieu où l’on traite, protège et aménage ensemble le bien commun. Il ne s’agit ni de la rue ni des parcs où on ne réglemente qu’en fonction de la sécurité mais de lieux comme l’école, le tribunal, l’administration de l’État qui, justement, est notre bien commun. Car la religion, nous ne l’avons plus en commun. Une religion qui veut gouverner le bien commun est assez susceptible d’abuser de sa position — après tout, cela s’est déjà vu ! — et quand plusieurs religions légitimement présentes dans la société prétendent le faire, la concurrence et la discorde menacent.

UN MESSIE TOUT JEUNE ET DÉJÀ CONTESTÉ !

Il arrive que des drames intimes ou domestiques doivent chercher leur résolution dans l’espace public. Jaleesa Martin, une américaine du Tennessee, s’est séparée du père de son troisième enfant avant la naissance de ce petit garçon. Leur union n’a certainement pas laissé que des souvenirs heureux car Jaleesa ne voulait même pas que son fils porte le patronyme de son géniteur mais plutôt son nom de famille à elle, Martin. Mais l’ex-conjoint, alléguant que la séparation ne pouvait pas oblitérer ses droits parentaux, insistait que. puisqu’il était légalement le père de cet enfant, il devrait répondre au nom de son père et être connu comme un fils Bernard.

Puisqu’on ne s’entend pas, on ira en cours. Courant 2013, c’est la juge Lu Ann Ballew qui a entendu les arguments des deux parties et qui s’est donné un moment de réflexion avant de prononcer sa sentence.

Ici intervient une fantaisie de la mère qui, en apparence, n’a aucune incidence légale. Elle a donné méthodiquement à ses trois enfants des prénoms qui commencent par un « M » et se terminent par le son de la voyelle « a » : Micah pour le fils aîné, Mathilda pour la fillette et Messiah pour le petit dernier. Fantaisie si l’on veut, mais somme toute, parfaitement innocente.

Tombe maintenant le verdict de madame la juge, une personne aux convictions chrétiennes fermes et bien affichées. Elle a voulu prononcer un jugement à la Salomon : l’enfant portera le patronyme de son père, Bernard, mais il aura comme prénom le patronyme de sa mère, Martin, que l’on trouve fréquemment dans cet emploi. Quant au nom « Messiah », il sera rayé du registre de l’état civil car « le mot Messiah n’est pas un prénom mais un titre qui n’a été mérité que par une seule personne et que cette personne est Jésus Christ ».

C’était inattendu. Le différend portait sur le nom, pas sur le prénom et de la juge on attendait la lumière des lois de l’État et non pas celle de ses certitudes religieuses qui, il faut bien le reconnaître, se sont avérées assez étroites. Elle n’aura réussi à mettre les parents d’accord que sur un point, celui de faire appel de son jugement. Et le tribunal d’appel a rendu son prénom au petit Messiah au nom de la séparation constitutionnelle de l’Église et de l’État.

COPYRIGHT SUR LE NOM DE DIEU

À la même époque, très loin de là, un débat juridique de plus grande ampleur agitait un pays tout entier, l’État de Malaisie, un petit pays situé au sud de la Thaïlande qui compte 29 millions d’habitants et dont la grande majorité est musulmane. Il existe quand même une petite minorité chrétienne, de langue malaise comme tout le monde sur ce territoire. Or, en malais, « Dieu » se dit « Allah ». Tout le monde sait bien que c’est là le nom de Dieu pour les musulmans dans quelque pays qu’ils vivent. Mais c’est aussi le nom de Dieu dans un grand nombre de langues qui ont subi l’influence du parler arabe. Et incidemment, ce nom est dérivé d’El et Elohim, noms de Dieu dans la plus ancienne tradition hébraïque.

Il y a longtemps, sous la pression des oulémas, le gouvernement avait interdit d’utiliser ce nom pour parler du Dieu des chrétiens pour éviter une possible confusion entre la foi islamique et la croyance chrétienne... Une confusion que l’on pourrait pourtant juger heureuse puisqu’elle illustre bien la conviction des deux groupes qu’il n’y a qu’un Dieu! Un tribunal à qui s’était adressé un éditeur chrétien a déclaré, il y a quatre ans, que l’interdiction gouvernementale était abusive puisque la constitution garantit la liberté de religion à tous les citoyens. Et voilà qu’en octobre dernier, une cour d’appel vient de renverser cette décision et par conséquent de rétablir l’interdiction.

La langue pourrait bien passer pour le plus commun des biens communs et lorsqu’une religion balise d’autorité cet « espace public » en s’attribuant l’usage exclusif d’un mot, les droits des autres sont bel et bien violés. Verrait-on les chrétiens prétendre qu’eux seuls peuvent légalement participer aux « œuvres de charité » ?

VIVRE PARTOUT SELON LA FORME DU SAINT ÉVANGILE

Dans ses consignes aux frères missionnaires telles qu’il les écrivit en 1221, François d’Assise affirmait que vivre au milieu des « infidèles » sans « faire ni procès ni disputes, soumis à toute créature humaine à cause de Dieu, confessant simplement qu’ils sont chrétiens » était un témoignage suffisant et même une forme d’évangélisation.


Toutes les religions sont susceptibles d’inspirer la bienveillance, la mansuétude et la tolérance. Nous pourrions bien n’avoir besoin de rien de plus ostentatoire pour assurer la paix et un développement social harmonieux dans l’espace public.

vol. 119, no 2 • 15 mars 2014

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