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L'ÉVANGILE DANS LES PRISONS

Des personnes dépouillées de leur dignité de bien des manières et qui sont attirées par la personne de Jésus. Elles sont aussi recherchées par Jésus, elles se transforment dès qu'elles sentent qu'elles sont aimées en vérité. Elles sont aussi le visage défiguré de Jésus. C'est Lui, incognito, qui vit au milieu de la prison et qui redonne vie et espérance à travers de multiples projets.
Certains disent : ils sont coupables. Je réponds avec la parole de Jésus :
que celui qui n’est pas coupable jette la première.

(Pape François, Allocution avant la célébration du Jeudi-Saint, 13 avril 2017)

L’Évangile dans les prisons ! Quelle contradiction, apparente du moins! Quel fil d’Ariane pour concilier  ces deux réalités ?

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Essayons donc de relire les évangiles comme de courtes pièces de théâtre. Ce qui frappe alors, ce sont les personnages. En premier lieu, tous ces personnages heureux ou menacés par la naissance d’un enfant. Puis, rapidement des personnages perdant la face, démasqués par les comportements et les paroles de Jésus d’une nouveauté inquiétante.

L'ORGANISATION CARCÉRALE

En parallèle, jetons un œil sur l’organisation carcérale qui régit les hors-la-loi sous le coup de sentences à purger pour avoir transgressé l’ordre établi. Un service correctionnel qui, du haut de la pyramide d’autorité, décide des règles et procédures pénales. Des administrateurs au quotidien, tous bien au courant des crimes commis par chacune des personnes dépouillées de leur dignité humaine avant même de mettre le pied dans l’institution carcérale. Des gardiennes ou des gardiens enfermés dans les préjugés sociaux courants : « ils ou elles méritent leur sort ». Tous ces fonctionnaires purs et justes savent mieux que tout le monde comment il faut se conduire. À ce seul coup d’œil, on se rend vite compte que les pièges tendus à Jésus ainsi que les relations quotidiennes offertes aux personnes incarcérées, laissent bien peu de place au seul et prioritaire commandement de l’amour.

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QUI ACCOMPAGNE JÉSUS ?

Si on se rapproche maintenant des personnes que Jésus appelle à le suivre, qui sont-elles ? Pas des personnes imaginaires inventées par les évangélistes. Non. Des personnes réelles attirées par l’incroyable charisme de Jésus. Des personnes d’humble condition et de toutes catégories sociales. Des hommes de métier parfois douteux et montrés du doigt. Des hommes, tous remarquables d’humilité dans la recherche de sens. Même deux bandits sont crucifiés avec Jésus. L’un s’avoue coupable et Jésus lui promet le Paradis. Des gens passant par là se réjouissaient sans doute : « ces deux-là méritaient bien leur sort ». Des femmes aussi suivaient ce mystérieux et attirant Jésus de Nazareth. Des femmes pas toujours recommandables à qui Jésus a redonné leur intégrité physique ou morale. Des femmes d’Israël guéries et sauvées du mépris social se sont attachées à Jésus. Des étrangères également avec qui Jésus ose argumenter comme l’audacieuse et tenace Cananéenne ou encore l’étonnante Samaritaine que Jésus délivre du carcan des normes religieuses de son époque.

« Des personnes réelles attirées par l’incroyable charisme de Jésus. Des personnes d’humble condition et de toutes catégories sociales.  »
UN VISAGE DÉFIGURÉ

Sachant que la prison est un concentré des diverses problématiques que l’on retrouve dans la société — problématiques exacerbées par la toxicomanie, la pauvreté, les violences diverses — comment ne pas reconnaître le visage si souvent défiguré de Jésus lui-même ? Comment ne pas le reconnaître en filigrane dans les traits des personnes condamnées à vivre en exclusion absolue de la « bonne société ». Que de fois Jésus devait-il se retirer à l’écart pour éviter l’oppression! Regardant ces hommes,  surtout ces femmes qui suivent Jésus ou cherchent seulement à le voir, à le toucher, à le prier de leur venir en aide, comment ne pas nous reconnaître nous aussi tous pécheurs (…), car telle est la porte pour rencontrer Jésus [1].

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Dans ces milieux de mépris et de coercition, comment chercher et trouver le visage de Jésus ? Qui en a le mandat ? Le système correctionnel n’y maintient-il pas encore des aumôniers, des agents de pastorale, des bénévoles. À eux, croyons-nous, le devoir d’écouter avec compassion, à eux le devoir d’offrir des services spirituels, à eux de s’occuper de la souffrance incommensurable qui ronge la confiance en soi et dans la vie. D’ailleurs dans nos milieux, ne s’en remet-on pas généralement aux pasteurs pour ce devoir pendant que, prisonniers sans nous en rendre compte, enfermés dans nos préjugés ou esclaves des idoles d’un faux bien-être, on absolutise les lois du marché [2], complices d’un repliement sur soi. Qu’irions-nous donc faire dans les prisons ?

JÉSUS INCOGNITO...

Dans les prisons de femmes que je connais davantage, Jésus se promène incognito à travers certaines gens de service plus souples et compatissants. Jésus se promène aussi incognito dans une certaine vie communautaire. Regroupées par secteur selon la nature de leurs problèmes, la vie est rude et parfois sans merci. Imaginez seulement un moment : du jour au lendemain à cause de leurs déviances sociales, des femmes étrangères les unes aux autres se retrouvent en groupes de quelques dizaines autres femmes du même acabit. Elles vivent entre elles de douloureuses frictions, sont confrontées au rejet, sont acculées au silence de leurs étroites cellules. Entre elles se développe parfois cependant une entraide étonnante de tendresse. L’émission télévisée Unité 9 en dévoile plusieurs exemples. Ces femmes ressemblent étrangement aux femmes de l’Évangile. Rejetées, mal aimées, tristement hors-la-loi, elles arrivent en prison dénudées de leur dignité et de leur liberté.

...ET À VISAGE DÉCOUVERT

D’autre part, Jésus se promène à visage découvert grâce aux valeurs de compassion et de réinsertion sociale véhiculées par des sympathisants. À cet égard, des organismes communautaires offrent divers programmes aux femmes incarcérées pendant des périodes de temps variant selon les sentences reçues. Des activités libres, du genre Viens et suis-moi !

Les femmes incarcérées témoignent d’une compréhension étonnante de la Parole et de changements d’orientation dans leur vie.
FOISONNEMENT DE PROJETS

Quelques congrégations religieuses soutiennent financièrement d’autres projets. Un projet de conseils juridiques indépendants du système carcéral, qui ont trait à des problèmes non pris en charge par l’avocat de l’aide juridique. Pensons au loyer, aux comptes à payer, à la garde des enfants, aux écoles à avertir, aux liens à conserver, au suivi du divorce…

 

Existe aussi un projet d’ateliers bibliques sous la thématique La Bible, racontée à travers l’histoire de femmes qui nous ressemblent ou encore Voyage dans la Bible. Histoire d’un peuple et figures de femmes. Une invitation à une activité de croissance personnelle et spirituelle conçue pour les femmes et donnée par des biblistes ou théologiennes. Les femmes incarcérées témoignent d’une compréhension étonnante de la Parole et de changements d’orientation dans leur vie.

 

Ma relation avec Dieu est plus forte, car j’ai une meilleure connaissance. Je grandis dans ma foi grâce une ambiance amicale et chaleureuse. (Mélanie)

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Aujourd’hui cela m’aide à sortir de l’esclavage de l’alcool, de la drogue, où j’étais perdue depuis une quarantaine d’années. (Erna)

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J’ai appris combien la loi de Jésus est simple. Maintenant dans la Bible, je trouve des réponses à mes questions, des prières et des petites histoires qui me guident dans la vie de tous les jours. J’ai hâte au samedi suivant. (Claudia)

 

Un dernier exemple : le projet Maman me raconte actuellement en recherche de financement. Ce projet permet à la mère et à son enfant de conserver des liens de proximité malgré la séparation physique. Les mères, soutenues par des bénévoles, enregistrent un conte à leurs petits. Avec les histoires choisies,  elles peuvent souvent leur dire ce que leurs mots ne suffisent pas toujours à exprimer. Un projet qui favorise également l’intérêt de l’enfant pour l’univers des livres et de la lecture [4].

 

Mis en marche depuis les années 2000, ces projets, portés par le souffle d’une invincible conviction que semer et enraciner la Parole et le service gratuit dans la « bonne terre » de ces femmes leur apportent la certitude qu’elles sont considérées, au-delà de leurs délits, comme des personnes qui ont du prix à nos yeux, qu’elles peuvent donner un sens à ce qu’elles vivent. Rassurées, elles sont raffermies sur leurs capacités à se réhabiliter.

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Voilà comment Jésus se promène en ces lieux de mépris et d’écrasement d’êtres humains qui ont commis certes des erreurs de comportement. Les intervenants et intervenantes auprès des personnes incarcérées, les plus marquées par nos préjugés, sont une copie vivante du je suis au milieu de vous comme quelqu’un qui sert [5]. Chacun, chacune pour sa part illustre bien l’expression québécoise à couleur évangélique que nos bottines doivent suivre nos babines. Autrement dit dans la Bible : La foi sans les œuvres est une foi morte [6].

 

 

NOTES

[1] Pape François, 22 septembre 2017

[2] Allocution du Pape François, avant la célébration du Jeudi-Saint, 13 avril 2017)

[4] www.elizabethfry.qc.ca/blog/category/blog-nouvelles/

      Voir aussi le documentaire Double peine de Léa Pool sur les enfants séparés de leur mère.

[5] (Lc  22, 27).

[6] (Jc 2,26)

Au paradis, paraît-il, mes amis,
C’est pas la place pour les souliers vernis.

(Moi, mes souliers, Félix Leclerc)

vol. 122, no 4 • Décembre 2017

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